Pression sur les délégués de l’Église réformée en Suisse

Le 4 novembre, les délégués des Églises protestantes de Suisse devront trancher sur la délicate question du mariage pour tous.

Le 4 novembre, les délégués des Églises protestantes de Suisse devront trancher sur la délicate question du mariage pour tous. Une date-butoir qui a pris de court nombre de délégués. Comment vivent-ils cette échéance ? Enquête chez les Romands.
Anne-Sylvie Sprenger, protestinfo

« Je ressens ce vote comme un passage en force », formule sans détours le pasteur Jean-Marc Schmid, membre de l’Assemblée des délégués (AD) de la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS). Et pour cause : lors de leur assemblée du mois de juin, l’AD a décidé qu’il était prématuré de classer la motion relative à la question du mariage pour tous et qu’il fallait s’accorder de fait un temps de réflexion.

Le 15 août, pourtant, les représentants des différentes Églises cantonales apprennent, par voie de presse, la décision de leur Exécutif d’accélérer les choses.
Lors d’une interview accordée au TagesAnzeiger, leur président Gottfried Locher a en effet non seulement annoncé que la question serait tranchée lors de l’AD du 4 novembre, mais également formulé qu’il était, à titre personnel, favorable au mariage pour les couples de même sexe. « L’apprendre par la presse m’a quelque peu surpris ! Normalement, l’élaboration de l’ordre du jour fait l’objet d’une discussion préalable entre les instances concernées », confie Pierre de Salis, président de l’Assemblée des délégués. Et de préciser que « c’est tout à fait leur droit : ils avaient une année pour revenir avec une autre proposition, mais visiblement ils ont pris l’option d’accélérer les choses ».

Je trouve la méthode très cavalière, Gilles Cavin, pasteur et délégué valaisan
Des voix s’élèvent d’ailleurs pour critiquer le procédé du Conseil de la FEPS (son Exécutif). « À l’heure actuelle, on est pris de court par ce que Gottfried Locher met sur la table », s’offusque le délégué valaisan Gilles Cavin. « Je trouve la méthode très cavalière. D’ailleurs, est-ce que l’on peut livrer un positionnement personnel dans les médias quand on est le président de la FEPS ? Cela me laisse pantois. » Soucieux des procédures, Pierre de Salis confirme que le président de la FEPS « a un peu anticipé sur la nouvelle Constitution qui entrera en vigueur dès 2020 et qui permettra au président de faire des suggestions en son nom. »

Pierre-Philippe Blaser, membre du Conseil de la FEPS, rappelle pour sa part que « toute prise de position est toujours une prise de risque, tant sur le fond que sur la forme. Je veux parler ici de la manière de communiquer, de qui parle à qui, quand et comment. Cela est compliqué car le moindre oubli, le moindre impair peut avoir un impact, involontaire, qui peut paralyser le débat ». Que pense-t-il du procédé dans ce cas précis ? « L’appréciation de la manière choisie peut varier d’une personne à l’autre. La suite nous dira si ce choix était le meilleur. »

Un vote particulier
En tout état de cause, les délégués auront la lourde tâche de se prononcer début novembre. Dans quel état d’esprit abordent-ils ce vote ? « Avec la plus grande surprise et un énervement certain ! » lâche Jean-Marc Schmid de l’union synodale Berne/Jura/Soleure. « J’ai la très nette impression que la décision de l’AD n’a pas été prise en compte. Si l’AD a décidé de ne pas classer cette motion, ce n’est pas pour voter avant d’avoir eu une nouvelle réflexion sur le sujet. »

Tout autre sentiment du côté de Laurent Zumstein, délégué de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), qui se dit « heureux de la dernière prise de position du Conseil qui se dit favorable au mariage pour tous » : « Je sais le sujet sensible, propre à diviser. Mais je pense qu’une minorité ne peut pas plus longtemps imposer son anthropologie exclusiviste. »

D’autres délégués se disent sereins face à cette décision, « qui de toute manière devait être posée », selon le Genevois Emmanuel Fuchs. Ainsi de la Vaudoise Marie-Claude Ischer, des Fribourgeois Franziska Grau-Salvisberg et Peter Schneider, ou encore du Neuchâtelois Christian Miaz. De son côté, le Valaisan Gilles Cavin s’avoue « lassé par ces questions, qui [le] suivent depuis dix ans dans les différents lieux où [il a] été en Église (le pasteur était engagé au sein de l’EERV lorsque que la bénédiction pour les couples de même sexe y a été débattue et acceptée, ndlr.). »

N’a-t-il donc pas hâte que cette question soit enfin tranchée une fois pour toutes ? « Cela ne saurait être le cas. On s’occupe aujourd’hui de la question du mariage pour tous, mais on ne règle absolument pas les questions de l’adoption, de la PMA, etc., qui vont revenir. Donc, on ne résout pas du tout la question. On avance seulement un bout dans une direction. »

Craintes de scission
Quoi qu’il en soit, le vote du 4 novembre ne saurait être un vote comme les autres. « Certainement que les délégués vivent ce vote de manière particulière », exprime Pierre de Salis. « Dans un certain nombre d’Églises cantonales, c’est une question qui est discutée et qui ne laisse pas les gens indifférents. Ce n’est pas une question anodine. » De véritables risques de scission existent-ils ? Pierre-Philippe Blaser ne le perçoit pas ainsi : « De mon point de vue, les réformés de Suisse sont moins ‘divisés’ que pluriels. On n’a pas la même opinion, mais on reste en bons termes et on continue de s’écouter. »

Gilles Cavin ne saurait être aussi confiant : « J’ai vécu les débats dans l’EERV. Je me rappelle très bien comment cela s’est passé. Et si au Synode, ça s’est plutôt bien fini, il y a quand même eu de grosses tensions en Église, que les Vaudois traînent probablement encore derrière eux. » Quant au Neuchâtelois Christian Miaz il l’admet : « Je connais des personnes qui quitteront l’EREN si elle célèbre des bénédictions de couples homosexuels, ainsi que des paroisses clairement plus réticentes. »

Une relativité bienvenue
« La prise de position de Gottfried Locher a peut-être réveillé certaines voix qui n’osaient pas s’exprimer, mais le sujet est sur la bonne voie », nous exprime un délégué qui tient à ne pas être reconnu. Est-ce à dire qu’il a l’impression que les jeux sont faits ? « Presque, mais pas tout à fait », formule-t-il. « Il est important de rester à l’écoute de ceux qui sont hésitants. » Le Valaisan Gilles Cavin pense également que l’Assemblée votera en faveur du mariage religieux pour tous : « C’est quand même compliqué de nuancer, sans être perçu comme étant dans le rejet et l’homophobie. C’est très difficile d’avoir une position intermédiaire sur ces questions. »

Pour Emmanuel Fuchs, il convient surtout de « mettre cette question à sa juste place ». Et d’ajouter : « Ce n’est pas la question absolument décisive sur laquelle l’avenir de l’Église et de l’Évangile se joue. Il faut veiller à ne pas mettre une sorte de dramaturgie sur cette question. » Sur ce point, Gilles Cavin le rejoint totalement : « On a des défis incroyables en tant qu’Église. Certes cette question est importante pour les homosexuels, mais il existe aussi d’autres enjeux très importants, comme l’annonce de l’Évangile ou celui de rejoindre les gens dans leurs préoccupations quotidiennes. »

Quant aux risques de scission, Emmanuel Fuchs est clair : « C’est de notre responsabilité que d’être facteur d’unité et pas de division. On a le droit en Église d’être d’accord de ne pas être d’accord. Pourquoi sur cette question ne pourrait-on pas ne pas être d’accord ? » Et de conclure : « Être une Église inclusive, cela veut aussi dire être une Église inclusive avec ceux qui ont de la peine à l’être. »

Comment votent les délégués ?
Les délégués votent-ils en leur âme et conscience ou se font-ils les représentants de la position de leur Église ? À cette question, il n’existe pas de réponse unilatérale, chaque Église cantonale ayant ses propres usages. Si certains délégués assurent qu’ils seront loyaux face à la position de leur Église, d’autres savent d’ores et déjà que la responsabilité finale leur incombera. « Le principe d’une délégation, c’est qu’on est toujours libre de son vote personnel, dans la mesure où le débat peut évoluer », souligne le Genevois Emmanuel Fuchs. « Le principe d’un débat parlementaire, c’est que l’on peut s’y préparer mais que le débat peut évoluer au cours de la discussion. »

Même son de cloche du côté du président de l’Assemblée des délégués, Pierre de Salis :
« Loyauté ou conviction personnelle ? C’est à chaque délégué de trancher la question. Il ne faut d’ailleurs pas négliger les émotions du moment. Dans une assemblée parlementaire, il y parfois des émotions qui passent, et les gens peuvent changer d’avis. Ce sont des choses qui arrivent. »

Du côté des Romands, Emmanuel Fuchs souligne que les délégations de ce côté-ci de la Sarine ont l’habitude de se concerter en amont, histoire d’avoir plus de poids face à la majorité suisse allemande.

Le vote devrait se faire à main levée, à moins qu’un quart de l’assemblée ne demande à ce qu’il se fasse à bulletin secret. Quoi qu’il en soit rappelé que le vote de l’Assemblée des délégués n’a aucune valeur contraignante, chaque Église cantonale restant maître de son propre règlement.

Quatre points pour un mariage pour tous
Voici les quatre positions sur lesquels les délégués de la FEPS devront voter le 4 novembre.

  • 1. L’Assemblée des délégués est favorable à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe au plan du droit civil.
  • 2. L’Assemblée des délégués recommande aux Églises membres d’adopter l’éventuelle modification de la définition du mariage au plan civil comme prérequis au mariage religieux.
  • 3. L’Assemblée des délégués recommande aux Églises membres de prévoir dans leurs règlements ecclésiastiques une clause préservant la liberté de conscience des pasteurs au regard du mariage religieux pour les couples de même sexe.
  • 4. L’Assemblée des délégués recommande aux Églises membres d’intégrer le mariage des couples de même sexe dans leurs registres des mariages et d’élaborer la liturgie de la même façon que pour le mariage des couples hétérosexuels.

Les cérémonies religieuses pour les couples de même sexe
En Suisse romande, les Églises des cantons de Vaud et Fribourg ainsi que l’union synodale Berne-Jura proposent des cérémonies religieuses pour les couples de même sexe. Leurs règlements stipulent clairement que ces célébrations doivent se différencier dans leur forme d’un mariage religieux entre un homme et une femme et que les ministres peuvent refuser ces célébrations si elles sont en désaccord avec leurs convictions théologiques.

Dans le canton de Vaud, le couple doit être préalablement lié par un partenariat enregistré à l’état civil. Ce n’est pas le cas à Fribourg ni à Berne et au Jura. D’ailleurs ces Églises restent floues sur le déroulé de la célébration, contrairement à l’Église réformée vaudoise (EERV). Selon le règlement ecclésiastique de l’EERV, la cérémonie doit se dérouler lors d’un culte et comprend les éléments liturgiques tels qu’une lecture biblique et une prédication, l’accueil des personnes, le rappel du lien de partenariat ainsi qu’une prière pour les conjoints. « Le ministre chargé de la célébration veillera à pondérer les éléments symboliques de manière à éviter une confusion avec une bénédiction de mariage », stipule le règlement ecclésiastique de l’EERV.

De son côté, l’Église protestante de Genève est en pleine discussion sur la question. Ses délégués devront se prononcer au mois de novembre. Quant à l’Église réformée du canton de Neuchâtel, elle ne propose aucun rite pour les couples de même sexe.
Source : protest info, 8 octobre 2019

Œcuménisme
Contact

Œcuménisme
10 rue du Cloître Notre-Dame
75004 Paris
Secrétariat :
oecumenisme@diocese-paris.net
01 78 91 91 68

Documents