Propos de bienvenue du cardinal André Vingt-Trois pour le 5e Forum européen catholique-orthodoxe

Lundi 9 janvier 2017 – Missions Etrangères de Paris (7e)

Le Forum Européen orthodoxe-catholique est une initiative promue par le Conseil des Conférences Épiscopales d’Europe (CCEE) et le Patriarcat Œcuménique avec l’accord des Églises orthodoxes présentes en Europe. Ce 5e forum avait pour thème “L’Europe dans la crainte de la menace du terrorisme fondamentaliste et la valeur de la personne et la liberté religieuse”.

Éminences, Excellences, chers Pères et Frères,

La foi qui nous est commune a besoin d’exprimer la richesse et la convergence des réflexions et des initiatives menées dans chacune de nos Églises. L’exigence évangélique de l’unité pour laquelle le Seigneur lui-même a prié prend une résonance particulière dans les temps que nous vivons.

Le XXe siècle de notre ère a été profondément marqué par l’ambition de proposer de nouvelles formes de salut à l’humanité, soit par un messianisme économico-politique, soit par la promesse de la vie éternelle grâce aux progrès des sciences et des techniques, soit encore par la suprématie raciale. Les populations ont subi les effets de ces programmes illusoires. Elles en ont éprouvé les forces mortifères à travers deux guerres mondiales, à travers les camps de concentration, l’extermination de peuples entiers par les génocides et les famines organisées. Plus que d’autres, certaines de nos Églises ont été victimes de la persécution et des dictatures et elles ont porté le témoignage du martyre jusqu’au sang. Les peuples mesurent les fruits amers de la dictature des puissances financières qui se fortifient du sang des pauvres réduits à une forme d’esclavage économique.

Ce long hiver de la civilisation, couvert par les promesses des prouesses technologiques a laissé les survivants comme hébétés au sortir de l’illusion d’un futur radieux. Si bien que, de toutes parts et sous de multiples formes, on relève un regain d’intérêt pour les propositions des religions. Mais, en même temps, nous constatons que l’offre religieuse multiforme suppose une capacité de discernement et de jugement. Nous pouvons nous réjouir que la préoccupation de l’avenir ouvre une opportunité nouvelle d’annoncer l’Évangile du Christ et unir nos efforts pour cette mission. Nous devons aussi être attentifs aux critères qui peuvent éclairer certains de nos contemporains tentés de basculer dans l’irrationalité et le fanatisme violent.

C’est pourquoi les deux thèmes principaux de cette session de votre forum ont une particulière actualité. Comment nos Églises peuvent-elles contribuer à développer le respect de la personne humaine et la liberté de conscience face à des mouvements terroristes qui utilisent les formes du langage religieux pour égarer les esprits. Le débat philosophique et le débat théologique peuvent certes apporter des points de repères importants pour les esprits cultivés et éclairés. Mais pour ceux qui sont déjà aliénés par un fanatisme politique nous savons que la rationalité et l’esprit critique doivent être reconstruits pour leur permettre de retrouver leur liberté.

Le chemin par lequel ce renouveau des consciences peut se développer est indissociable de la confrontation à la réalité des faits qui s’imposent aux idéologies. Cette pédagogie historique fait donc appel à notre capacité de réagir aux situations d’agression autrement que par la panique et l’usage irréfléchi de la contrainte physique. Si l’expérience cruelle vécue par la France au cours des deux années écoulées peut nous apporter quelques enseignements, je voudrais souligner ici trois aspects qui me paraissent particulièrement significatifs :

1. La capacité de réaction solidaire de notre pays a mis en échec un des objectifs premiers des terroristes qui était de déclencher une panique et une division de la société pour construire une situation de croisade. Il est évident que la peur existe, – et c’est bien naturel ! –, mais cette peur n’a pas paralysé notre société, ni même déclenché des manifestations de vengeance à l’égard des musulmans.

2. Cette capacité de résister à la dynamique de la haine dépend, pour une très large part, du sang-froid manifesté par les responsables politiques et religieux. La demande de protection, souvent exprimée, est une manifestation du recours à la figure paternelle dont on attend la sécurité devant le danger. Dans ce contexte, nos Églises, plus que tous les autres corps sociaux, sont appelées à devenir des exemples pédagogiques dans la gestion de l’effroi et de la peur. Nous sommes invités à montrer en qui nous mettons notre espérance.

3. La manière dont nous pratiquons le respect de la liberté de conscience est un signe puissant qui contredit le slogan selon lequel les religions monothéistes sont nécessairement violentes et aliénantes.

Pour terminer, je voudrais vous souhaiter un agréable séjour à Paris et un colloque fructueux. Je me réjouis que vous puissiez vénérer la sainte couronne d’épines à la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Je vous remercie.

+ André cardinal Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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