« Que nos yeux s’ouvrent »

Paris Notre-Dame du 21 janvier 2021

Le projet de loi révisant la loi de bioéthique revient en deuxième lecture, dans quelques jours, devant le Sénat. À cette occasion, la Conférence des évêques de France (CEF) propose aux catholiques de jeûner et prier durant quatre vendredis entre janvier et début février afin de « sortir d’une bioéthique aveuglée ». Les explications de Mgr Pierre-Antoine Bozo, évêque de Limoges (Haute-Vienne et Creuse).

Mgr Pierre-Antoine Bozo, évêque de Limoges (Haute-Vienne et Creuse). Membre du groupe de bioéthique de la CEF.
© D.R.

Paris Notre-Dame – Le groupe bioéthique de la CEF, dont vous êtes membre, est à l’origine de cet appel [1]. Pourquoi cette initiative ?

Mgr Pierre-Antoine Bozo – Cette initiative a été lancée parce que nous pensons avoir utilisé tous les moyens humains à notre disposition dans le dialogue avec les autorités de la nation, en particulier les députés et sénateurs et les membres du gouvernement, concernant cette révision des lois bioéthiques. Nous avons bataillé avec énergie, mais il nous faut utiliser aussi les moyens spirituels dont nous disposons. C’est donc un appel aux catholiques que nous lançons, un appel à la prière et au jeûne, car nous considérons que dans ce texte, il y a des enjeux d’humanité très graves. « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera » (Jn 15, 16). Il faut donc demander au Père, au nom de Jésus, que la dignité de l’homme, sa dimension sacrée, soit respectée. Nous avons choisi quatre vendredis, jours de commémoration du mystère de la Croix, parce que la prière et le jeûne vont bien ensemble, afin de marquer notre dépendance par rapport à la grâce de Dieu. À chaque communauté ensuite, à chaque famille, de monnayer ce temps de manière adaptée.

P. N.-D. – Cette initiative est accompagnée d’un livret dans lequel vous demandez aux catholiques d’ouvrir les yeux sur les changements anthropologiques profonds qu’opère ce projet de loi.

P.-A. B. – Nous proposons ce livret d’accompagnement avec une longue page introductive qui explique la situation et un guide de prières pour chacun des quatre vendredis, en se basant sur les évangiles du jour. Au fond, la parole de Dieu est notre vrai éclairage sur l’homme. Les changements que vous évoquez sont le signe que nous ne regardons plus l’homme de la même manière, aussi nous demandons au Seigneur que nos yeux s’ouvrent – c’est le titre de ce livret. Dans le texte Gaudium et Spes issu du Concile Vatican II, il est dit que « l’oubli du Créateur rend opaque la créature elle-même » (Gaudium et Spes, n°36). En oubliant Dieu, nous ne nous comprenons plus nous-même. La Révélation n’est pas seulement celle du visage de Dieu mais aussi de celui de l’homme. Cet éclairage de la parole de Dieu peut nous aider à mieux comprendre qui est l’homme. Nous prions pour nous-même, pour le législateur aussi bien sûr, pour que notre regard sur l’homme soit renouvelé dans la foi afin d’y voir la ressemblance et l’image de Dieu.

P. N.-D. – Vous dénoncez l’individualisme qui suscite des comportements contraires à la fraternité et qui « se manifeste à chaque fois que des droits individuels deviennent des droits revendiqués ». C’est le grand danger qui nous guette ?

P.-A. B. – C’est une des marques de la culture occidentale contemporaine. Or dans la culture chrétienne, il existe un contrepoids très fort : la communion fraternelle de l’homme. L’individualisme est une impasse, il ne rend pas l’homme heureux. La loi en vient à être une espèce de rééquilibrage des revendications individuelles, une régulation d’intérêts divergents, selon une modalité très anglo-saxonne. Il y a dans cette dénonciation de l’individualisme quelque chose de très important, mais il ne s’agit pas que de dénoncer, il s’agit surtout d’inviter à la fraternité, comme le pape François nous y invite avec son encyclique Fratelli tutti. Je pense que la fraternité universelle, en particulier envers les plus petits et les plus fragiles – l’embryon, la personne âgée ici – est un contrepoids à cet individualisme.

Propos recueillis par Priscilia de Selve @Sarran39

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