Quelles relations avec l’Église catholique romaine ? Position du Réseau évangélique suisse

Numériquement et historiquement, les rapports entre catholiques et protestants en Suisse offrent un équilibre diffèrent de celui en France ou en Angleterre et les pays du nord. Ici nous publions des extraits d’une étude d’un groupe de réflexion suisse allemande sur les relations entre évangéliques et catholiques. Ce mois-ci, après une belle citation de Bonhoeffer, on considère la situation actuelle : « Une cohabitation marquée jusqu’à ce jour par une certaine ambivalence ».

Dans ce numéro nous commençons de publier les extraits d’une étude d’un groupe de réflexion suisse allemande sur les relations entre évangéliques et catholiques.

« Ce qu’a apporté l’Église catholique au cours de son histoire à la culture de l’Europe et du monde entier ne peut guère être surévalué. (…) En effet, elle a fait preuve d’une puissance spirituelle sans égale et nous admirons encore aujourd’hui la façon dont elle lie les fondements de la catholicité, de la nécessité de l’appartenance à l’Église pour être sauvé, de la tolérance et de l’intolérance. Elle est un monde en soi… Elle sait comment maintenir son unité dans toutes ses diversités avec une force admirable. (…) Mais c’est justement aussi cette grandeur qui suscite de sérieuses réserves. Cette structure est-elle réellement encore l’Église du Christ ? Au lieu de montrer la voie vers Dieu, ne s’est-elle pas mise en travers du chemin ? N’a-t-elle pas bloqué le seul chemin qui mène au salut ? Mais personne n’a jamais pu bloquer le chemin qui mène à Dieu. Elle a encore la Bible et aussi longtemps qu’elle l’a, nous pouvons encore croire en elle comme sainte Église chrétienne. Car la Parole de Dieu ne retourne jamais à Lui sans effet (Esaïe 55,11), qu’elle soit prêchée chez nous ou dans une Église sœur. Nous avons la même confession de foi, nous prions le même Notre Père et nous avons bien des coutumes en commun. Cela nous unit et en ce qui nous concerne, nous voulons volontiers vivre en paix aux côtés de cette sœur dissemblable mais nous ne voulons rien nous laisser prendre de ce que nous avons reconnu comme Parole de Dieu. Ce n’est pas l’épithète catholique ou évangélique qui est important pour nous mais la Parole de Dieu. Nous ne voudrions, par ailleurs, jamais violer la foi d’un autre. Dieu ne veut pas d’un service forcé, il nous a tous donné une conscience. Mais nous pouvons et nous devons prier que notre Église sœur se reprenne et ne regarde à rien d’autre que la Parole de Dieu (1 Cor 2,2). »
(Bonhoeffer Dietrich, Jugend und Studium. 1918-1927, Werkausgabe (DBW) Band 9, Chr Kaiser Verlag, Gütersloh, pages 583 et suivantes – traduit de l’allemand)

La prise de position qui suit a été rédigée dans sa première version par le pasteur et docteur Werner Neuer (Professeur de théologie systématique, spécialisé en éthique, au séminaire St Chrischona) et le pasteur et docteur en théologie Jürg Buchegger-Müller (Pasteur principal de l’Église évangélique libre du Buchs SG). Elle a été retravaillée par le comité de la Schweizerische Evangelische Allianz (SEA) et adopté par ce dernier le 9 février 2017. Elle a ensuite été retravaillée et adaptée au contexte romand, sous la supervision de la Commission théologique du RES, puis mise en consultation auprès de la Conférence des présidents d’unions d’Églises, de la Conférence des délégués de secteurs d’oeuvres et de la Rencontre des présidents de sections locales. Elle a été adoptée par le Conseil du RES.
Traduction par Jean-Marc Bréchet. Relectures et adaptation romande par Michael Mutzner. Corrections par Catherine Meyer.

Thèses récapitulatives
Les thèses suivantes résument les arguments et les conclusions développés dans la présente prise de position.

Une cohabitation marquée jusqu’à ce jour par une certaine ambivalence
Pour beaucoup d’évangéliques, le concept même d’œcuménisme est miné. Ce qualificatif a fréquemment été assimilé au courant théologique porté par le « Conseil œcuménique des Églises » à Genève (COE) et qui a souvent été le vecteur de points de vue marqués par une idéologie et une politique en contradiction avec notre compréhension de la Bible. A ce mot œcuménisme, nombreux sont ceux qui associent donc une ligne théologique qui manque de clarté biblique, ligne à laquelle le RES et ses membres ne pourraient pas s’associer. Le fait que ce concept soit aussi perçu comme étant le premier pas vers une unification des grandes religions a souvent renforcé l’idée que ce projet n’était pas conciliable avec une interprétation évangélique de la Bible. En revanche, le but profondément biblique consistant à vouloir vivre la réalité d’un « œcuménisme spirituel » de tous les chrétiens ne peut qu’être pleinement approuvé par le RES. C’est dans ce sens-là que sera compris le concept d’œcuménisme, lorsqu’il sera utilisé dans le présent document.
Le comportement que les évangéliques – et aussi en particulier le RES, ses Églises et œuvres membres ainsi que ses fédérations cantonales et sections locales – choisissent d’adopter vis-à-vis de l’Église catholique a été marqué par une certaine ambivalence : d’un côté, il a toujours été clair que des différences confessionnelles fondamentales existent depuis le XVIème siècle entre les Églises issues de la Réforme et l’Église catholique romaine malgré tous les efforts de rapprochement. D’un autre côté, il existe différents points de vue sur la forme actuelle que devrait prendre la relation entre les évangéliques (et donc, du RES et de ses membres) et l’Église catholique romaine. Alors que certains, se basant sur les différences toujours existantes, adoptent une attitude distante ou même de rejet de l’Église catholique romaine, d’autres, malgré les différences persistantes, pensent qu’une collaboration – au moins ponctuelle - est possible, voire nécessaire, compte tenu du témoignage commun à rendre de l’Evangile et compte tenu des commandements divins.
Cette ambivalence est renforcée par la diversité interne et les courants parfois contradictoires qui coexistent au sein même de l’Église catholique romaine. Lors de l’assemblée générale annuelle du Réseau évangélique suisse et de la Schweizerische Evangelische Allianz le 20 mai 2017 à Berne, Thomas Schirrmacher, secrétaire général adjoint de l’Alliance évangélique mondiale (AEM) et président de la commission théologique de l’AEM a présenté l’état des contacts institutionnels en cours avec le Vatican. Selon lui, trois courants cohabitent actuellement dans le catholicisme : un courant traditionnel et conservateur, une aile libérale - en recul – et un courant dit « évangélique » en progression (et dans lequel on trouve notamment le mouvement du renouveau charismatique), qui met l’accent sur la mission et la piété personnelle – sans pour autant remettre en question des dogmes tels que celui de la mariologie. Le pape actuel s’inscrirait dans ce troisième courant.

• L’enseignement du Nouveau Testament nous oblige à rechercher l’unité des chrétiens
La division des chrétiens a des conséquences négatives :
• Un abandon de l’héritage de Jésus qui nous ordonne d’être un comme Christ et le Père sont un (Jean 17, 23 ; voir aussi Romains 12,4 ; Ephésiens 4,4)
• Un obstacle à la mission et à l’évangélisation (Matthieu 28,18-20 ; Jean 17,21 ; 13,35)
• Un affaiblissement face aux discriminations et persécutions subies par les minorités chrétiennes dans le monde (1 Corinthiens 12,24-26)
• Un scandale et un mauvais témoignage face au monde

Les conditions bibliques d’une unité visible des Églises sont :
• Unité dans la vérité (Jean 14,6 ; 16,13, Galates 1)
• Unité dans l’amour (Jean 13,35 ; 17,20-23 ; 2 Corinthiens 5,14)
• Unité dans la liberté (2 Corinthiens 3,17)

(Plus de détails dans la partie I et dans la partie III)

• Malgré les différences, nous partageons d’importantes certitudes communes
Bien qu’il y ait encore d’importantes différences de doctrine entre l’Église catholique romaine et les Églises évangéliques (en particulier les doctrines portant sur l’autorité du Pape, sur Marie, les Saints, l’Église et les sacrements), il y a, 500 ans après la Réforme, plusieurs raisons de redéfinir les relations avec l’Église catholique romaine.
L’Église catholique romaine a abandonné, lors du concile Vatican II (1962-1965), sa revendication d’être l’unique médiateur du salut. Plus récemment, dans la « Déclaration conjointe sur la Doctrine de la Justification » (entre l’Église catholique et la Fédération Luthérienne Mondiale, 1999) un accord a été trouvé, dans lequel est affirmé que c’est par le Christ seul que l’homme peut être justifié devant Dieu, par la grâce seule et par la foi seule. Ces développements ouvrent de nouvelles perspectives. Par ailleurs, sur les questions éthiques, les Églises évangéliques et catholiques défendent souvent des positions très proches.
(Plus de détails dans la partie II)

• La vigueur de la collaboration dépend beaucoup de la situation locale et des chrétiens et Églises concernés
Le pourquoi et le comment d’une collaboration entre, d’une part, une Église évangélique, une fédération cantonale ou une section locale du RES et, d’autre part, d’autres Églises chrétiennes, dépendent beaucoup de la situation locale. Celle-ci peut être très différente selon le contexte. Deux attitudes nous semblent fondamentalement à éviter : une peur viscérale du rapprochement ou au contraire, l’exercice d’une pression pour le rapprochement, là où la situation n’est pas mûre pour un tel processus.
Malgré les impératifs du Nouveau Testament nous invitant à donner corps à l’unité déjà établie en Jésus-Christ et en dépit des éléments qui nous rapprochent, il ne faut jamais en venir à exercer des pressions qui l’emporteraient sur les questions de conscience et les convictions personnelles, spirituelles et théologiques de chacun.
Une unité extérieure, visible et institutionnelle doit avant tout pouvoir s’appuyer sur une unité « intérieure », une unité « des cœurs », une unité dans l’Esprit Saint (unité spirituelle), sans quoi elle devient une simple manifestation extérieure d’une unité qui n’a pas de réalité vécue. L’action de l’Esprit Saint doit toujours avoir la priorité sur nos initiatives et institutions humaines. Ce qui est primordial, c’est que la paix du Christ qui offre l’unité et que l’Esprit de vérité qui donne la liberté règnent, afin que le Père soit glorifié. Mais l’unité spirituelle intérieure a aussi besoin d’espaces où il est possible de la vivre extérieurement et de la cultiver.
Sur un plan local, le RES recommande à ses membres de rechercher la collaboration et d’entretenir de bonnes relations avec toutes les Églises chrétiennes. Des contacts personnels et un comportement aimable devraient aller de soi. Il est souhaitable de chercher à établir des relations de confiance et d’amour fraternel et de développer ces liens. La confiance et l’amour fraternel pourront alors se consolider dans une attitude de respect mutuel des différences, sachant que les points de frictions peuvent être assumés avec patience et humilité.
Quant à la question de savoir dans quelle mesure de telles relations peuvent induire une prière, des actions ou des projets communs, il appartient aux responsables locaux et aux fédérations d’Églises, selon la situation à laquelle ils font face, d’en décider.
Les différences ecclésiologiques ont empêché jusqu’à présent une unité institutionnelle. Le degré d’unité requis pour une collaboration large entre évangéliques et catholiques ne se situe toutefois pas au même niveau que le degré d’unité qui devrait exister à l’intérieur d’une communauté locale ou d’une union d’Églises et ne nécessite par conséquent pas le même niveau d’accord. Ce genre de collaboration n’implique pas non plus une reconnaissance automatique et mutuelle des Églises impliquées.
(Plus de détails dans la partie IV)

• La collaboration en vue d’un « travail en commun » peut prendre divers aspects
a) Participation à des évènements communs et à des institutions Dans les endroits et régions où il existe des opportunités de prendre la parole publiquement dans un tournus avec d’autres Églises (par exemple par une présence dans les médias locaux, lors d’évènements, dans les EMS, etc.) il est souhaitable d’en faire usage de concert. Les Églises catholiques, réformées et évangéliques devraient ici être en mesure de coopérer.

b) Témoignage commun dans la société et collaboration ponctuelle
On peut s’engager ensemble dans des actions humanitaires et sociales, locales ou régionales. Par exemple : distribution de repas, bourse aux vêtements, logements d’appoint, prévention et aide face aux addictions, conseils et assistance pour les familles et les femmes enceintes, travail dans les rues, aide aux séniors, soutien aux chômeurs, etc. Les actions publiques (par exemple pour les chrétiens persécutés, distribution de Bibles, sensibilisation à des sujets éthiques) ont aussi un plus grand impact lorsque les chrétiens se présentent tous ensemble.

c) Recueillements en commun, réunions de prières, cultes, Sainte-Cène. Faire l’expérience de la présence du Christ chez l’autre, dans des cadres privés, lors de prières, de cultes ou d’évènements publics, offre une occasion de se prendre les uns les autres au sérieux malgré toutes les différences et d’apprendre à s’apprécier. Il n’est plus là question de ne se concentrer que sur ce qui nous a séparés durant des siècles, mais au contraire, de mettre en avant ce que nous avons en commun, c’est-à-dire Jésus-Christ, le Dieu qui s’incarne. Une participation occasionnelle au culte / messe d’autres Églises dans le cadre d’une solidarité familiale et de l’entretien de l’amitié devrait aussi être considérée comme normale.

Une participation commune à la Sainte Cène et à l’Eucharistie sont l’objet d’approches différentes parmi les membres du RES. La participation est laissée au libre jugement et à la conscience de chacun.

d) Evangélisation [1] Le document Le témoignage chrétien dans un monde multireligieux – Recommandations de conduite, cosigné en 2011 par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le Conseil œcuménique des Églises et l’Alliance évangélique mondiale, met en évidence le souci commun des Églises pour la mission et représente une aide lors de discussions inter-Églises au sujet de l’évangélisation. Une évangélisation menée en commun nécessite d’avoir une compréhension et une proclamation commune de l’Evangile biblique.

Les chrétiens évangéliques regrettent parfois de ne pas trouver dans les proclamations catholiques le fait que le salut obtenu une fois pour toutes sur la croix en Jésus est suffisant, et que l’accès à celui-ci se fait par la foi seule, sans la nécessité d’aucun autre moyen de salut. A l’inverse, les chrétiens catholiques estiment parfois, sans remettre en cause la valeur de leur prédication, qu’il manque certains éléments aux évangéliques. Ils soulignent spécialement la nécessité de vivre l’Evangile dans le cadre sacramentel de l’Église (catholique) et de reconnaître l’autorité de son magistère.

Une évangélisation menée en commun sera donc difficile à envisager aussi longtemps que l‘un considérera qu’il y a de sérieuses déficiences dans la compréhension que l’autre a de l’Evangile. Selon la situation locale, certaines formes d’évangélisation commune sont possibles si l’on se met d’accord sur certaines questions pratiques permettant à chacun de présenter son point de vue sur les grands thèmes de la foi. Cela peut être le cas par exemple dans le cadre de soirées de découverte de la foi chrétienne menées conjointement.

• Appellation en cas d’apparitions publiques communes
Pour certaines des unions d’Églises, communautés locales, fédérations cantonales ou sections locales du RES, une collaboration régulière avec l’Église catholique romaine est déjà une réalité. Quelques sections locales en Suisse allemande ont pu être amenées à se poser la question d’un élargissement et d’un changement d’identité et d’appellation. Le Réseau évangélique suisse et la Schweizerische Evangelische Allianz recommandent de conserver l’identité et l’appellation actuelles.
• La vocation du Réseau évangélique suisse consiste à offrir une plateforme commune aux unions d’Églises, Églises locales, œuvres, personnes, qui se reconnaissent dans une identité et une confession de foi évangélique. L’appellation « Réseau évangélique » rend visible cette partie du christianisme en Suisse romande.
• Là où une collaboration locale entre les différentes Églises chrétiennes se vit, le RES recommande de rendre visible cette unité d’une autre manière. Une collaboration permanente ou ponctuelle peut être communiquée par une phrase telle que « organisé par le Réseau évangélique X et la paroisse catholique Y ».

• Sections locales : un statut d’invité
• Les sections locales du RES peuvent offrir la possibilité aux paroisses locales catholiques d’avoir un statut d’hôte au sein de la section, leur permettant ainsi de participer et de coopérer dans le cadre des rencontres de la section, des évènements du Réseau évangélique ainsi que lors des échanges et dialogues. La même chose est aussi possible pour les paroisses réformées.
• Pour ce qui concerne les membres individuels, le Réseau évangélique suisse accueille les chrétiens de toutes confessions chrétiennes en mesure d’adhérer à ses documents de base. [2] Il en va autrement des membres collectifs, et en particulier des Églises. En effet, ses statuts prévoient explicitement que seules « les paroisses ou Églises de professants » peuvent devenir membres du RES. Au vu de l’identité et de la vocation du RES consistant à représenter les unions d’Églises, Églises, œuvres et personnes, qui se reconnaissent dans une identité et une confession de foi évangélique et à leur offrir une plate-forme commune, et compte tenu du fait que dans ce contexte, le RES est aussi la fédération des unions d’Églises évangéliques romandes, l’adhésion de paroisses réformées ou catholiques au RES (à l’échelle romande) ou dans le cadre de ses sections locales n’est pas envisageable.

[1Voir aussi les documents fruits du dialogue entre les institutions chrétiennes :
 Rapport sur le dialogue catholique/évangélique sur la mission 1977-1984, paragraphe 7.2 g)
 Le manifeste de Manille (mouvement de Lausanne), 1989, paragraphe 9
 Eglise, Evangélisation et les liens de la Koinonia, 2002, 2ème partie

[2Il se distingue en cela de sa consoeur, la Schweizerische Evangelische Allianz (SEA). S’il fallait comparer la situation romande et suisse allemande, on pourrait considérer que le RES a accueilli en son sein deux dynamiques, celle du mouvement d’unité évangélique (équivalent à la SEA) et celle d’une fédération des unions d’Eglises évangéliques (équivalent au VFG en Suisse allemande).

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