Rencontre du cardinal André Vingt-Trois avec les pèlerins français, à l’occasion du Consistoire

Rome - Samedi 24 novembre 2007

Je suis heureux de vous retrouver après cet après-midi passé à recevoir des gens si divers, certains que j’ai des raisons de rencontrer, de connaître, d’autres qui viennent parce qu’ils ont un lien avec tel cardinal, d’autres encore qui sont là pour faire des photos … En vous voyant, je découvre ou vois rassemblée l’incarnation de relations qui remontent à plus de cinquante ans. Un demi-siècle, ce n’est pas mal, surtout que je ne suis pas totalement gâteux et podagre, donc j’ai encore quelques années devant moi, si le Pape ne m’use pas prématurément.
Je vous remercie de m’avoir offert cette chance de rencontrer quelques étapes de ma vie. Je suis très sensible à la présence du groupe de Tourangeaux qui ont surmonté les risques d’un voyage interplanétaire entre Saint-Pierre-des-Corps et la gare Montparnasse pour pouvoir se joindre au groupe de Paris et qui ont ainsi apporté le témoignage d’une période brève de ma vie, - je ne suis resté à Tours que six ans -, mais une période intense qui est restée pour moi pleine de souvenirs très riches.

Vous avez aussi eu le mérite pour beaucoup d’entre vous de participer à la célébration de ce matin dans d’assez mauvaises conditions d’après ce que j’ai compris. Je le regrette beaucoup. C’est en partie à cause de la météorologie, et aussi de la confiance excessive que le Pape Benoît XVI a développé dans la raison humaine : il a fait crédit aux prévisions et tout le monde le suit avec docilité. Comme la météorologie a annoncé qu’il allait pleuvoir des cordes pendant le week-end, eh bien, les services du Vatican ont décidé de rentrer plutôt que rester dehors, si bien qu’une partie de ceux qui devaient être dehors se sont retrouvés dedans mais pas tous, la basilique n’ayant pas la même capacité que la place Saint-Pierre. Un certain nombre d’entre vous sont restés dehors, je le regrette beaucoup.

Je voudrais aussi saluer particulièrement les représentants de la communauté chaldéenne de Sarcelles qui se sont joints à nous ce soir. Ils ont la chance cette fois-ci d’avoir deux cardinaux en course ; ils se partagent donc entre le patriarche Delly et moi-même qui suis leur Ordinaire en France. Ils se partagent équitablement en allant de l’un à l’autre. Pour les Vêpres de ce soir, ils sont avec nous, ce qui est une joie.

Vous avez pu, malgré ces conditions mauvaises, participer un peu à l’intensité de l’événement. Il y a toujours quelque chose d’exceptionnel à célébrer dans Saint-Pierre de Rome, surtout si vous n’avez comme élément de référence que la visite de la basilique vide. Cette basilique vide procure des émotions esthétiques uniques, mais qui sont tout de même plutôt baroques. Si vous n’avez pas une spiritualité baroque, vous êtes alors un peu dépaysés dans vos émotions esthétiques, tandis que lorsque l’on vit Saint-Pierre dans une célébration liturgique où la basilique est pleine, j’ai le sentiment que certains éléments du décor, - car il y a bien un aspect de décor dans Saint-Pierre -, et peut-être son côté le plus baroque, sont comme absorbés par l’action liturgique et relativisés en quelque sorte. Bien sûr, c’est là une impression très subjective, car dans le domaine de l’esthétique, la subjectivité joue beaucoup, mais je trouve par exemple que la présence physique du Pape sous le baldaquin du Bernin cristallise l’attention sur lui, un peu sur la confession de Pierre en laissant descendre le regard, et finalement, le baldaquin est absorbé ; il est au service de cette présence. Vous verrez lundi matin, si vous avez l’occasion de passer dans la basilique vide, vous ne verrez que les quatre colonnes torses. C’est normal d’ailleurs, car il n’y a rien d’autre à voir. Si vous voyiez autre chose, précipitez-vous vite vers un confessionnal pour tirer cela au clair. C’est que quelque chose ne va pas bien.

L’intensité, l’atmosphère de cette célébration, la force de cette liturgie dont vous avez vu combien elle est simple… Il n’y a pas beaucoup d’actes liturgiques : un appel du Pape, la liturgie de la Parole et la profession de foi, voilà en quoi consiste la création des cardinaux. C’est donc à la fois une liturgie sobre et intense, par le contenu des paroles prononcées, puisque c’est au cours de ce discours du Pape que la signification ultime de l’« empourprement », - je ne sais si le mot s’emploie ainsi -, - on dit bien l’entartrement -, de la couleur rouge est explicité comme le témoignage rendu à l’Évangile si besoin est, si les circonstances y appellent. C’est donc un événement particulièrement grave, mais, vous avez pu le sentir, vécu dans une atmosphère sereine, cordiale, affectueuse et joyeuse.

Je pense aussi aux différents aspects de ce que le Pape a dit dans son homélie sur la proximité avec lui, l’engagement à l’assister dans son service d’évêque de Rome et comme tel de pasteur universel de l’Église, de Souverain Pontife, à propos des services auxquels nous devons collaborer, non seulement comme nous le faisons autant que nous le pouvons par la participation à quelques congrégations mais aussi par notre engagement à la fois spirituel et effectif à l’égard de nos frères en humanité qui ont besoin d’être soutenus. C’est alors que le Pape a évoqué précisément les communautés du Moyen-Orient et spécialement de l’Irak. Enfin, vient aussi dans cette célébration l’appel nous est adressé de nous laisser constituer en presbyterium autour de lui par l’attribution d’une église romaine, en l’occurrence pour moi Saint-Louis des Français, - ce qui est évidemment une grande surprise pour les populations concernées ! Tout le monde s’y attendait, mais ce n’est pas parce qu’on attend un événement qu’il se produit.

Cette église est une église romaine et aussi une église française qui fait partie du patrimoine français à Rome. Je ne sais si l’on peut dire qu’il s’agit d’une paroisse romaine mais les Papes ont fait comme si elle en était une et ont bien voulu l’attribuer comme titre cardinalice de façon à ce que le cardinal de Paris sont et curé d’une paroisse romaine et lié à une église française. L’attribution de cette église est évidemment symbolique puisque nous sommes invités à ne pas exercer nos fonctions curiales dans les paroisses qui nous sont attribués, tout comme les évêques auxiliaires sont invités à ne pas exercer dans les diocèses qui leur sont généreusement attribués, en général des étendues sableuses sur lesquelles poussent des cactus. Là, j’ai la chance d’avoir une vraie église avec de vrais gens, mais je ne suis pas vraiment leur curé.

Nonobstant cette restriction qui fait que le curé effectif est le curé nommé ou, à Saint-Louis, le recteur, je devrais prendre possession de cette église, ce que je ferai dans le courant de l’année, pour montrer que je prends ma place dans le clergé de Rome. Et de même que le presbyterium autour de l’évêque est un conseil et un organe d’action, pas seulement un conseil, - car les prêtres, Dieu merci, agissent plus qu’ils ne conseillent, sans quoi il ne se ferait pas grand-chose, de même donc que le presbyterium autour de l’évêque est une capacité de conseil et d’action, ainsi en va-t-il des cardinaux autour du Pape. Il y a certains cardinaux dont je ne connais pas la liste ni les activités car pour une part ils relèvent des activités confidentielles du Saint-Siège à travers le monde.

Sans trahir aucun secret, de toute façon ils sont largement éventés, chacun sait le rôle que le cardinal Etchegaray a joué auprès du Pape Jean-Paul II pendant une vingtaine d’années comme émissaire volant et diplomate free-lance qu’il envoyait lorsque les autres moyens ne fonctionnaient pas. Il y a actuellement à ma connaissance deux cardinaux dans cette situation d’être envoyés pour des contacts informels mais sérieux, discrets mais formels, de vrais contacts mais que l’on ne peut pas dire, dans un certain nombre de pays du monde.
Notre collaboration à la mission du Pape ne se réduit pas à des opérations de commando diplomatiques. Il y a surtout la modeste participation au fonctionnement ordinaire de la Curie, en particulier au travail des congrégations auxquelles nous serons affectés probablement dans les semaines ou les mois qui viennent. J’ai la chance d’avoir déjà deux fauteuils de congrégations à Rome puisque je suis membre du comité de présidence du Conseil pontifical pour la famille et que j’appartiens aussi à la congrégation des évêques, ce qui me vaut de venir passer une matinée chaque mois à Rome pour réfléchir à la nomination des évêques. C’est une manière de coopérer avec le Pape et d’être proche de son ministère.

Dans cette expérience de consistoire que nous avons vécue ce matin, il me semble qu’il y a aussi une cristallisation d’un certain nombre de choses que nous avons vécues. Je dis « nous » parce qu’un certain nombre d’entre vous y ont été associés en y participant dans les décennies écoulées. J’ai été frappé aussi dans les contacts assez directs et fraternels que nous avons entre cardinaux combien les expériences vécues à Paris ont de l’importance. Pour une part, sans doute y-a-t-il là un peu d’exagération due à l’émotion de la cérémonie et à l’exaltation italienne… toutes sortes de raisons font que les gens vous disent des choses extraordinaires, mais il y a aussi un fond de vérité, ce n’est pas seulement de la flatterie ou de la flagornerie.

Deux en particulier m’ont frappé aujourd’hui : lorsque nous sommes allés embrasser les cardinaux, - ce devait être relativement impressionnant, lorsque l’on voyait (nous, nous ne voyions rien, puisque nous étions dedans, c’est toujours pareil), je trouve que c’est une belle image, une belle photo à faire, et donc, selon les moments et selon les personnes, avec certains, on dit seulement : « merci, bravo », avec d’autres, il y a un peu plus de chair…, l’un d’eux m’a dit : « Paris, c’est très important parce que en France vous comprenez toujours plus vite ce qui se passe ». C’est peut-être un peu flatteur mais ce n’est pas idiot tout de même : la Révolution française, ce fut quand même longtemps avant 1848, cela va plus vite qu’ailleurs. « Vous comprenez plus vite qu’ailleurs, et cela nous sert ». Un autre m’a dit : « Je suis (du verbe suivre) ce que vous faites avec votre séminaire ». Il est de l’autre bout du monde, il ne fera sans doute rien d’approchant dans les cinquante ans qui viennent, mais cela veut dire qu’il y a un pôle d’intérêt. Je pourrais dire moi aussi qu’il y a de même à travers le monde des diocèses où il se passe des choses et à l’égard desquels je pourrais dire cela, mais pour ce qui est de Paris et de la France, cette attention est très sensible ici.

L’émotion aussi du cardinal Sarr, de Dakar au Sénégal, parce que nous avons des liens historiques particuliers avec le Sénégal et que le cardinal Thiandoum, son prédécesseur, avait aussi des relations très fortes avec la France… Le cardinal Sistach de Barcelone que je connais depuis plusieurs années, le cardinal de Valence que j’ai rencontré lors des journées mondiales de la famille, le cardinal Pell d’Australie, le cardinal Ouellet de Québec et quelques autres…

Je voulais vous partager tout cela, vous remercier de votre présence, de votre prière, de votre soutien, de votre amitié, du courage que vous avez eu en vous levant ce matin pour suivre la messe depuis dehors mais encore cet après-midi pour venir circuler dans la salle Paul-VI, de participer aux visites qui ont un côté un peu folklorique. Merci à tous.

André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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