Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Profession perpétuelle de Sœur Marie-Charles de Jésus et de Sœur Marie-Constance des Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre. Vœux temporaires de 5 sœurs.

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre - samedi 9 janvier 2010

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Is 42, 1-4.6-7 ; Ps 103, 1-4.24.25.27-30 ; Ac 10, 34-38 ; Lc 3, 15-16.21-22

Frères et sœurs,

Ce récit de l’évangile selon saint Luc nous rapporte que Jean baptisait tous ceux qui étaient dans l’attente du Messie, et que Jésus lui aussi vint aussi pour recevoir le baptême de Jean. Et nous ne pouvons pas ne pas nous demander en quoi Jésus avait besoin d’être baptisé. Jean-Baptiste lui-même souligne que Jésus est plutôt celui qui devrait baptiser, et cette réflexion nous permet de saisir l’originalité du baptême du Christ. Jésus n’est pas baptisé pour la rémission des péchés, car il est sans péché. Le sens de son baptême est donné par la présence de l’Esprit de Dieu qui descend des cieux ouverts sous une forme corporelle et par la voix qui annonce : « Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour » (Mt 3, 17), « Moi aujourd’hui je t’ai engendré » (Lc 3, 22).

Il nous est difficile de comprendre une chose qui relève à la fois de l’intimité de Dieu et de l’histoire humaine. En effet, nous comprenons bien que Jésus n’est pas Fils de Dieu seulement à partir de son baptême. De toute éternité, il est le Fils engendré et la relation qui l’unit au Père est personnalisée par l’Esprit-Saint. Cette vie intime de la Trinité existe de tout temps et pour tout temps. Le Christ ne se découvre pas Fils de Dieu lorsque parce qu’il est baptisé par Jean-Baptiste. Mais en même temps le Fils unique de Dieu, en Dieu de toute éternité, a pris chair et est entré dans l’histoire humaine. Il a parcouru les chemins de l’humanité en toute chose, hormis le péché. En recevant le baptême de Jean, il a voulu prendre sa place parmi les pécheurs pour recevoir avec eux le baptême de Jean et donner le signe de ce qu’il est venu faire en ce monde.

Cet homme qui descend au Jourdain pour y être baptisé ne paraît en rien différent de ceux qui l’entourent. A ce que voient les gens, il est Jésus de Nazareth. Dès lors comment reconnaître en lui Celui qu’il est réellement : le Fils de Dieu ? Comment voir en cet homme celui dont Jean-Baptiste a dit qu’il est plus puissant que lui ? Mais aussi comment lui-même assume-t-il cette filiation divine dans sa vie d’homme et dans le développement de son humanité ?

Le signe du baptême de Jésus marque comme un seuil. C’est le moment où Jésus est désigné par la voix venue du ciel comme le Fils engendré du Père par le don de l’Esprit. Les récits de l’Annonciation ou de la Nativité avaient désigné Jésus comme celui qui a été engendré par l’Esprit-Saint dans le sein de la Vierge Marie. Au moment de son baptême, cette réalité de la génération spirituelle du Christ est manifestée à tous, et la mission qui découle de sa relation avec le Père devient une mission historique. Jésus est le Fils de Dieu au milieu de nous. Il va donner les signes de cette filiation divine à travers les traits messianiques annoncés par le prophète Isaïe. Pour dire les choses d’une manière plus ramassée et plus suggestive comme le font les Actes des Apôtres, Jésus se manifeste comme « celui qui est avec Dieu » (Ac 10, 38).

D’une certaine façon, chacun et chacune d’entre-nous parcourt le même itinéraire. Il est évident que si nous sommes enfants de Dieu, nous le sommes en Dieu de toute éternité. Ce statut ne nous vient pas des événements de notre naissance ou des péripéties de notre histoire. Cette filiation est éternelle en Dieu comme sa paternité est éternelle. Mais nous la découvrons et nous l’assumons cependant à travers les événements de notre histoire humaine. Quand un enfant est présenté au baptême, il est non seulement désigné comme celui ou celle qui entre dans une relation particulière avec Dieu, mais il devient vraiment Fils de Dieu par le don de l’Esprit-Saint. C’est là tout le mystère de notre expérience sacramentelle, dans laquelle nous sommes conduits à découvrir peu à peu la réalité telle que Dieu la conçoit et la réalise, pour l’accueillir et la vivre en lui faisant correspondre notre propre liberté.

Enfants de Dieu de toute éternité, nous sommes en quelque sorte engendrés par Dieu à la filiation par adoption. Si nous ne sommes pas Fils de Dieu comme l’est Jésus, nous sommes cependant réellement fils de Dieu. Et nous progressons dans cette filiation divine lorsque grandit en nous l’intelligence de la volonté de Dieu et la capacité d’accomplir ce qu’il veut de nous. Sa grâce renouvelle sans cesse notre dignité d’enfant de Dieu et nous recrée, non dans l’innocence originelle, mais selon le dessein que Dieu a voulu pour l’homme et la femme dès le commencement.

Les événements par lesquels l’Esprit-Saint, de manière plus ou moins identifiable, vient actualiser notre filiation divine sont très différents selon chacune de nos histoires. Dans nos vies, il y a des moments, où les cieux s’ouvrent, et où l’Esprit, sous une certaine forme corporelle, vient nous toucher et nous donner notre vocation divine, nous éveiller à la plénitude de nos capacités, et surtout restaurer notre liberté pour que nous puissions répondre à ce don de Dieu.

Aujourd’hui les sœurs qui vont faire profession devant nous sont engagées dans cet itinéraire. Constituées comme filles de Dieu, elles ont été touchées par l’Esprit-Saint et elles ont découvert comment ce même Esprit pouvait engendrer en elles des fruits qu’elles ne connaissaient pas. Elles ont découvert peu à peu comment Dieu accomplit sa volonté à travers leur vie, à mesure que leur liberté s’engage davantage dans la communion avec Lui. La profession religieuse qu’elles vont faire, après tant d’autres sœurs avant elles, ne va pas changer leur identité. Elles ne vont pas devenir quelqu’un d’autre. Elles ne seront pas autres que des baptisées dans le Christ, confirmées dans l’Esprit-Saint et accueillies dans la communion du Christ. Mais leur consécration mobilise et cristallise toutes leurs capacités personnelles pour répondre à ce don de Dieu, non pas à travers les charges et les obligations habituelles de l’existence humaine, mais dans la réponse à l’appel de tout donner.

Elles choisissent ce cadre de la vie religieuse consacrée pour que chaque moment de leur vie, chaque aspect de leur personnalité et chaque dimension de leur existence soient tout entiers repris et offerts dans la prière et la louange du Seigneur. C’est le chemin dans lequel tous les baptisés sont appelés, et que chacun et chacune de nous parcourt selon les circonstances de sa vie, les appels qu’il a reçus et les missions qui lui ont été confiées. Ces vocations sont diverses, et nous avons à être fidèles dans le chemin qui est le nôtre. Pour nos sœurs, ce chemin passe par le choix de tout quitter par amour de Dieu, pour l’annonce de l’Evangile et pour se livrer dans la vie fraternelle.

Ainsi, chacune de leur existence et la vie de chacune de leur communauté peut devenir comme une image prophétique de ce à quoi toute l’humanité est conduite. En voyant vivre les sœurs, nous ne sommes pas appelés à nous extasier devant ce que leur existence a de particulier, mais nous sommes conduits à déchiffrer ce que leur vie annonce pour notre propre vie. Par le « raccourci » par lequel elles ont été entraînées, nous sommes invités à découvrir le terme vers lequel nous cheminons tous : la communion parfaite avec Dieu, le culte parfait.

C’est pour nous la source d’une profonde action de grâce que de pouvoir être témoins de l’appel que Dieu fait retentir dans le cœur de jeunes hommes et de jeunes femmes pour qu’ils se donnent tout entier à la mission de l’Église et à l’annonce de l’Evangile. C’est une joie pour toute l’Église de découvrir qu’en dépit des difficultés, des pauvretés, des lenteurs ou des résistances qui habitent nos cœurs, Dieu continue d’appeler de partout des hommes et des femmes pour qu’ils deviennent au milieu du peuple chrétien signe de la destinée merveilleuse proposée à toute l’humanité. C’est pour nous une grande joie que de voir que notre Église, telle Elisabeth dans son vieil âge, ou telle Marie dans sa jeunesse, est sans cesse stimulée par l’Esprit-Saint pour être rendue capable d’offrir des personnes qui se donnent toute entière dans l’amour.

Cette action de grâce n’est pas le soulagement que Dieu ait choisi ailleurs, à côté ou quelqu’un d’autre. Nous rendons grâce à Dieu parce que nous saisissons que quel que soit notre propre chemin, quelque chose de notre vie est offert pour tous. Notre vocation particulière est aussi un signe proposée à tous nos frères pour découvrir le dessein dans lequel Dieu nous entraîne.

Comme nous l’avons entendu dans le prophète Isaïe, la mission du Christ est de libérer les prisonniers et de rendre la vue aux aveugles (Is 42, 7). Et l’Evangile ajoute ce signe plus déterminant : la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (Lc 4, 18). L’Église a reçu la mission d’être témoin de la Bonne Nouvelle au milieu des hommes : Dieu veut la vie de l’homme et son bonheur. Nous nous réjouissons que ce témoignage nous soit confié à nous qui formons le peuple de Dieu rassemblé et consacré dans l’Esprit-Saint. Nous rendons grâce que des hommes et des femmes soit tout entiers engagés dans cette annonce de la Bonne Nouvelle.

Aussi, c’est avec confiance que nous prions Celui qui a été engendré du Père pour être le Messie de son peuple et le Sauveur des hommes. Aujourd’hui par la même puissance de l’Esprit, celles et ceux qui sont appelés à rendre le même témoignage et à participer à l’œuvre du Salut sont engendrés dans le corps de l’Église. Que le Seigneur donne à chacun d’entre-nous de fortifier notre choix dans la joie de nos sœurs. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois

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