Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe de fondation pour la Libération de Paris

Cathédrale Notre-Dame de Paris, le dimanche 24 août 2008

Evangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu au chapitre 16, versets 13-20

Frères et sœurs, chers amis,

Quand le Général de Gaulle a décidé que le défilé solennel qui marquerait les célébrations de la libération de Paris à partir de l’Arc de Triomphe se conclurait par une célébration dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, nul autour de lui, je pense, n’a pu s’en offusquer ni même s’en étonner. Dans un moment aussi grave, aussi solennel et en même temps aussi périlleux - puisque jusque dans cette cathédrale les tirs ont continués, nul n’a pu être surpris de ce que celui qui incarnait et qui symbolisait alors l’unité des français, voulut qu’une démarche qui exprime quelque chose de l’émotion, de la reconnaissance et de l’engagement du peuple français se déclare et s’exprime dans un cadre catholique. Voici l’origine de la cérémonie du Magnificat qui a été chanté dans cette cathédrale il y a maintenant 64 ans, comme il le sera tout à l’heure à la fin de notre célébration, avant que je n’aille lire la plaque qui en fait mémoire. On fera crédit au Général de Gaulle d’avoir su aussi bien que tout le monde, que parmi les combattants qui avaient lutté pendant ces années sombres et dans les derniers jours pour la libération de Paris, beaucoup n’étaient pas des catholiques fervents et certains même étaient des athées convaincus. Et personne n’ira imaginer que le Général de Gaulle avait l’intention de faire fi de cette diversité de croyances ou de cette absence de croyance pour confisquer la solennité du moment et en faire la propriété de l’Église catholique. Il avait trop le sens de la liberté individuelle, le sens de l’Etat et le sens de la laïcité de la République pour s’engager dans des voies aussi périlleuses ! Mais tout en respectant cette diversité et cette liberté, il savait aussi que la Nation française a des racines et que cette magnifique cathédrale au cœur de la Cité en incarne mieux que tout autre lieu la part chrétienne. Il savait très bien que la passion pour la liberté et le respect de l’homme prend sa source dans cet héritage culturel qui vient tout droit des Dix Commandements et de l’Evangile, qui nous donne de regarder chaque personne humaine, quelle que soit sa race et sa religion, comme quelqu’un qui mérite d’être respecté, ce respect exigeant justement que l’on combatte pour lui.

En ce jour où nous faisons mémoire des événements qui se sont déroulés il y a plus de 60 ans dans notre pays, nous savons que la mobilisation des français pour lutter contre l’occupation et contre la terreur nazie n’a été au départ ni générale ni totale. Nous connaissons les chemins par lesquels les mouvements de résistance à l’occupant se sont progressivement rencontrés, rassemblés et réunis sous un commandement unique, entre le mois de juin 1940 et le mois d’août 1944, en lien avec les forces qui combattaient sur les territoires extérieurs et notamment en Afrique. Cette unification a été laborieuse, mais ce qui est important est justement que l’ampleur et les objectifs du combat pour la dignité humaine aient eu suffisamment de poids pour surmonter les différences et les diversités tactiques. Ainsi peu à peu, le combat aidant, les forces se sont unies et sont redevenues l’armée de la France. Peu à peu, cette armée s’est relevée au nom d’un certain nombre de valeurs essentielles telles que la liberté, la défense d’une certaine conception de l’homme et le refus de la domination d’une race supérieure. Tout cela a donné et donne encore un sens, non pas seulement au métier des armes, mais aux combats auxquels notre nation est amenée par instant et en certains lieux à apporter sa contribution.

Nous le savons, dans les moments de crise, il est souvent plus simple de tourner la tête et de fermer les yeux. Mais la dignité humaine n’est pas de tourner la tête et de fermer les yeux. Elle consiste à regarder la réalité en face et à accepter que nous soit posée la question suivante : quels sont les enjeux qui méritent que l’on mette en péril notre tranquillité, notre sécurité et parfois notre vie ? Ceux de nos compatriotes qui ont perdu la vie dans les semaines dernières en Afghanistan, savent qu’il y a des combats qui demandent d’être prêt à donner sa vie, tout comme des milliers d’hommes et de femmes à Paris en 1944, avaient très bien compris qu’il y avait un combat qui méritait de risquer sa vie. On peut toujours discuter pour savoir si les mesures de précaution avaient été bien prises, mais je crains que cela ne soit que discussions de salon. Car la question à laquelle chacun de nous est acculé un jour ou l’autre est de savoir ce qui compte plus que notre vie. Et les risques que chacun de nous est disposé à prendre par fidélité à un certain nombre de valeurs et pour préserver certaine qualité de la vie humaine dans le monde ne sont pas couverts par les assurances ! Ce sont des risques radicaux parce qu’ils touchent à notre dignité et à notre liberté humaine.

Les combats dont nous faisons mémoire ont marqué la ville de Paris et leurs traces demeurent encore sur beaucoup de murs de notre capitale à travers des plaques évoquant les personnes, souvent jeunes, qui sont tombées au combat. En nous en souvenant, nous sommes invités à nous interroger nous-mêmes : à quoi sommes-nous prêts ? Jusqu’où sommes-nous prêts à supporter l’indignité ? A partir d’où sommes-nous prêts à prendre des risques pour la dignité humaine ? Que l’exemple de celles et de ceux qui nous ont précédé nous soit une occasion de vérifier où sont nos véritables valeurs et jusqu’à quel point nous sommes disposés à prendre des risques pour les défendre.

Amen.

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