Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe du 30e dimanche Temps Ordinaire - Année C

Dimanche 27 octobre 2013 - Notre-Dame de Paris

La parabole du pharisien et du publicain nous invite à éprouver les sentiments profonds de notre cœur dans la prière. Le chemin de la prière chrétienne passe par une véritable humilité : reconnaître que Dieu seul peut nous purifier de notre péché.

 Si 35, 12-14.16-18 ; Ps 33, 2-3.16.18.19.23 ; 2 Tm 4, 6-8.16-18 ; Lc 18, 9-14

Frères et Sœurs,

Á mesure que nous avançons dans la lecture et la méditation de l’évangile de saint Luc, la liturgie nous propose des figures qui nous aident à mieux comprendre quel est le chemin dans lequel les disciples sont invités à s’avancer, les attitudes qui leur sont proposées pour leur permettre de progresser dans la voie de la sainteté. Dimanche dernier, avec la parabole de la vieille femme qui priait sans relâche, nous étions invités à mieux mesurer combien la prière était enracinée dans la foi, comme dans sa cause première, et était en même temps un signe de cette foi à travers la persévérance que nous étions conviés à mettre en œuvre.

Aujourd’hui, avec la figure du pharisien et du publicain, nous sommes invités à découvrir un autre aspect de l’attitude du disciple dans la prière. Il s’agit de savoir quel est le sentiment profond de notre cœur quand nous nous trouvons devant Dieu. Évidemment, nous ne pouvons pas rester dans une interprétation trop superficielle de cette parabole, comme s’il nous suffisait d’affecter l’attitude du publicain pour devenir un vrai disciple, car alors nous ne ferions que rejoindre hypocritement les rangs des pharisiens en adoptant une attitude de pécheur sans en avoir réellement éprouvé la profondeur. On peut jouer au publicain et se glorifier devant Dieu d’être moins orgueilleux que les autres. Ce n’est évidemment pas ce que le Seigneur nous invite à vivre quand il met en scène ces deux attitudes. Que veut-il nous faire découvrir sinon quelque chose qui est une tentation permanente de notre manière de nous situer devant Dieu ? Il existe un risque de chercher quel mérite nous pourrions mettre en avant pour que Dieu nous exauce. Nous pouvons nous présenter devant Dieu avec l’illusion que nous avons quelque chose à mettre sous ses yeux pour justifier qu’il exauce notre prière. C’est ce que fait le pharisien : il rend grâce à Dieu de ce qu’il n’est pas comme les autres hommes. Nous n’avons pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour comprendre quel est le regard que ce pharisien porte sur les autres hommes. Il nous suffit de nous surprendre nous-mêmes dans une attitude de jugement, de mépris et de condamnation.

Vous seriez sans doute surpris de savoir combien je reçois de lettres de gens qui s’estiment justes, et qui dénoncent devant moi le péché des autres. Cela n’est pas une surprise, c’est une tentation bien humaine de voir ce qui ne va pas chez les autres comme pour excuser ce qui ne va pas chez nous. Dans l’évangile, vous vous rappelez l’histoire de la paille et de la poutre. Cette attitude que le Christ désigne comme une attitude inappropriée, injuste et fausse, nous savons qu’elle est toujours prête à se mettre en œuvre, même à notre insu. En nous présentant cette figure du pharisien, le Christ nous invite à la vigilance sur nous-mêmes, à être attentifs à repérer la tentation qui nous guette de dénoncer le mal chez les autres, d’accuser les autres sans voir que nous-mêmes nous sommes pécheurs.

L’attitude du publicain n’est pas une attitude construite. Il ne joue pas à être pauvre et pécheur devant Dieu, il sait qu’il est pauvre et pécheur, et s’il avait tendance à l’oublier, le comportement des autres à son égard suffirait à le lui rappeler. On a reproché au Christ de prendre ses repas avec les publicains et les pécheurs, car pour préserver la pureté rituelle, les juifs devaient éviter de fréquenter les hommes impurs. Quand nous venons devant Dieu, il ne s’agit donc pas de nous construire une statue de pénitent, mais de faire retour sur nous-mêmes et de prendre bien conscience de ce que nous sommes réellement. C’est pourquoi chaque fois que nous célébrons l’eucharistie, nous sommes invités à nous reconnaître pécheurs, non pas comme une formalité, mais comme une réalité, et nous supplions Dieu qu’il nous délivre de notre péché. Au moment de communier au Corps du Christ, nous renouvelons cette démarche : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres dans ma maison, mais dit seulement une parole et je serai guéri ». Nous sommes invités à approcher de Dieu en ouvrant les yeux sur ce que nous sommes, sur ce que nous vivons, avec la conviction que la délivrance ne peut pas venir simplement de notre bonne volonté, de nos bonnes intentions ou de nos bonnes résolutions, comme s’il s’agissait d’une décision simplement morale. Notre délivrance ne peut venir que de Dieu car c’est lui qui nous a rachetés de notre péché, c’est lui qui peut nous accueillir dans sa justice.

C’est pourquoi dans la tradition chrétienne, cette prière du publicain a été si souvent reprise, en particulier dans la tradition des pèlerins russes qui parcouraient les grands espaces de la Russie, en répétant cette phrase : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! » (Lc 18, 13). Et si nous avons parfois des difficultés à prier, si nous avons parfois des hésitations sur la manière de prier, sur le contenu de la prière, s’il nous semble que nous sommes à cours d’idée, ou que nous sommes distraits, ou que nous avons tendance à penser à autre chose, il n’est pas très difficile de nous remettre dans la réalité en reprenant cette parole du publicain : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! ». Et cette prière du pauvre, cette prière du pécheur, cette prière de celui pour qui s’adresser à Dieu n’est pas une sorte de faveur qu’il lui fait, est vraiment vitale : je ne peux pas vivre si Dieu ne me fait pas vivre. Je ne peux pas surmonter les pulsions de mort, de haine, de violence, de mépris qui habitent mon cœur si Dieu ne prend pas lui-même la peine de les enlever, de les arracher, de m’en délivrer. Prier, avec humilité, s’abaisser devant Dieu pour être élevé, c’est le chemin de la prière chrétienne.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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