Interview de Mgr Denis Jachiet à propos des Couloirs humanitaires

32 personnes sont arrivées à Paris via les Couloirs humanitaires en juin 2018. Membre de la Commission épiscopale pour la mission universelle de l’Église, au titre de la pastorale des migrants, Mgr Denis Jachiet, évêque auxiliaire de Paris, était à la descente de l’avion.

Pourquoi avoir voulu participer à cet accueil et comment s’est-il passé pour vous ?

La Conférence des évêques de France est partenaire du projet des Couloirs humanitaires. Je crois qu’il est important que nous nous manifestions, y compris nous les évêques. Ensuite, j’avais envie de partager un moment à la fois symbolique et révélateur de toute cette chaîne d’entraide des Couloirs humanitaires.

Sachant qu’on ne parle pas la même langue, ce sont les regards qui parlent d’abord : les yeux grands ouverts et émerveillés des plus jeunes, prêts à boire la vie à plein trait, ceux remplis d’émotions et parfois de soucis des plus âgés. Après, ce sont les petits gestes : un enfant a sorti un chewing-gum de sa boîte pour me l’offrir. C’était le premier geste qu’il voulait faire. On comprend que ces petits apprendront le français en quelques mois, avec leur capacité de jeux, d’invention, de découverte. C’est très impressionnant. En échangeant quelques mots en anglais avec les parents, j’ai entendu des questions : « Comment est-ce que je vais vivre ? Vais-je pouvoir travailler ? »

Dans le contexte actuel - bateaux de sauvetage en recherche d’un port d’accueil, visite du Président Macron au Vatican - quel sens ce projet prend-il ?

Il est vrai que si Emmanuel Macron n’est pas au courant des Couloirs humanitaires, il en entendra forcément parler au cours de son voyage à Rome, le 26 juin. Les enjeux sont considérables dans le sommet européen qui se profile (Conseil européen des 28-29 juin, ndlr). Mais j’ai surtout pensé à ce qui s’est passé à la frontière mexicaine, où l’on a cruellement séparé des enfants de leurs parents. C’est impensable quand on voit arriver ces familles. Ils ont tout laissé derrière eux. Ils ne parlent pas notre langue. Toute leur force est dans les liens familiaux. Les petits-enfants portent les bagages des grands-parents, les parents sont entraînés par leurs enfants vers la découverte, pour ne pas se replier sur eux-mêmes. Briser cela, c’est faire exactement le contraire de l’accueil et c’est voué à un échec certain. Toutes les questions de regroupement familial, d’attention aux mineurs étrangers isolés, sont derrière. Nous sommes sommés de porter une attention particulière à la nécessité qu’a un enfant de terminer sa croissance dans son milieu familial, ou du moins, dans un milieu porteur. C’est à la fois au nom de l’humanité et de la réussite. Si on laisse des mineurs isolés livrés à eux-mêmes, ils deviennent des délinquants et la société va en payer le prix fort. Si on les abandonne, on perd notre âme et on aura gagné des troubles durables.

Qu’avez-vous pu dire aux collectifs présents ?

J’ai salué leur travail formidable. Ils ont associé de nombreuses personnes à cette action. Cela fait partie de l’ambition des Couloirs humanitaires d’accueillir autant de réfugiés que l’on peut mais aussi d’impliquer au maximum les communautés en France. En faisant cela, on participe au changement de regard sur les migrants. Plus on associe de personnes, plus on donne la chance de découvrir la réalité de ces familles en migration et donc de transformer les regards.

Comment cette arrivée vous a-t-elle fait cheminer personnellement ?

Ce genre d’événement fait partie de la liste des actions qu’il faut encourager dans l’ensemble des communautés chrétiennes en France. C’est-à-dire que quand une famille arrive dans une paroisse en France, il ne s’agit pas simplement d’assurer les trois ou quatre personnes qui vont la piloter et l’héberger, il faut rassembler toute la communauté : demander aux enfants qu’ils organisent des jeux, aux anciens qu’ils préparent des gâteaux... Que sais-je ! L’accueil des personnes en migration n’est pas l’affaire de quelques-uns, c’est l’affaire de tous. J’en ai eu la confirmation hier soir. Tous étaient dans le sourire et la reconnaissance de la bienveillance qui leur était témoignée, à travers l’accueil dès la descente de l’avion ou l’aide à porter leurs bagages.

Un policier nous a accompagnés. Une fois les frontières passées avec les familles- finalement nous sommes sortis du territoire français pendant quelques minutes - il leur a dit : « Voilà, maintenant vous êtes administrativement en France ! » J’ai vu du soulagement après cette étape-là. La frontière, les bagages... nous faisons cela quand nous partons en vacances. Eux sont partis pour une nouvelle vie. Ce n’est pas tout à fait pareil.

Que diriez-vous aux paroisses et délégations qui hésitent à s’engager dans l’accueil ?

C’est une aventure formidable ! Je trouve que le projet des Couloirs humanitaires est peut-être la façon la plus balisée pour accueillir des migrants. La plupart du temps, quand est en contact avec une famille, on doit se débrouiller tout seul pour une quantité de choses. Avec les Couloirs, une grande partie du travail a été préparée. A partir du moment où le collectif est déjà monté avant l’arrivée de la famille, tout se passera beaucoup mieux. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de problèmes : il y a toujours des questions à régler.

Depuis le début des Couloirs humanitaires, en mars 2017, pas une personne n’est sortie du cadre mis en place. Personne n’est parti dans la nature comme cela se produit tout le temps quand c’est l’Etat qui envoie en Centre d’Accueil et d’Orientation (CAO). Dans l’idéal, on voudrait les répartir en France mais l’Etat peine à le faire car la volatilité est considérable. Alors que les collectifs des Couloirs y parviennent, le Ministère de l’Intérieur le constate.

L’ancrage que nous pouvons leur assurer, à travers les collectifs d’accueil, c’est l’ancrage humain. On ne peut rien garantir à l’avance en ce qui concerne l’administratif ou le réseau professionnel mais l’ancrage humain sera là. Et c’est la clé de tout le reste. Un jeune papa, infirmier en Syrie et qui parlait bien anglais, voudrait tout de suite reprendre des études. Je ne sais pas du tout s’il y a une école d’infirmier là où il sera mais à partir du moment où il y a un réseau, quelque chose sera possible.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNPMPI).

Source : http://migrations.catholique.fr

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