“Gilets jaunes” : pouvoir, contre-pouvoir… et pouvoir d’achat

La Vie - 30 novembre 2018

« Le pouvoir politique ne retrouvera son pouvoir réel qu’en raison d’une haute considération pour la puissance des liens humains, familiaux et amicaux, sur lesquels il n’a pourtant pas de pouvoir. » Le père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les professionnels de l’information du diocèse de Paris, signe une tribune dans l’hebdomadaire La Vie.

Que révèle la contestation actuelle des « gilets jaunes » à propos de notre société et de notre monde politique ? Le père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les professionnels de l’information du diocèse de Paris, analyse ce que la crise dit de notre rapport au pouvoir.

L’entrée dans la vie politique donne à accès à la réalisation d’une certaine idée du pouvoir : le pouvoir d’orientation et de décision au nom des autres et pour les autres. Ce pouvoir démocratiquement reçu au terme d’un processus électoral ne rend pas compte de la totalité du pouvoir nécessaire pour diriger un pays. Il existe en effet un autre pouvoir nécessaire pour gouverner une société mais sur lequel il n’est jamais possible de mettre la main : le pouvoir des consciences.
Le pouvoir politique a la main sur les manettes de l’économie, de la finance et encore… Mais sur la conscience et plus exactement sur le pouvoir de la conscience, il n’a aucun pouvoir. Or, les gilets jaunes sont la manifestation visible d’un pouvoir qui échappe au pouvoir. Ainsi le gouvernement fait-il actuellement l’expérience que le pouvoir de calmer des inquiétudes n’est pas en son pouvoir. Le pouvoir des amitiés, de la compassion et des communions dans la détresse est un réel pouvoir dans la société sur lequel nos élus manquent trop souvent de considération. On ne décide pas de l’émotion des personnes, on ne décide pas non plus de leur seuil de tolérance.
Le pouvoir politique a la main sur l’économie, la finance… mais sur la conscience, il n’a aucun pouvoir.

Une seconde observation vient de ce que la révolte des « gilets jaunes » – puisque c’est désormais le nom de ce pouvoir émergent – est essentiellement une réponse du berger à la bergère. Face à l’obligation de consommer qui accable les classes moyennes de notre pays, les gilets jaunes demandent de l’argent. Qu’on leur en donne et qu’on cesse de leur en prendre !

Ne plus parvenir à boucler les fins de mois difficiles se traduit en besoins financiers pour assurer les achats minimums, car il faut bien vivre à défaut de vivre bien. Or, sans imaginer la moindre dépense somptuaire, les « gilets jaunes » demandent le pouvoir d’acheter ! Ils ne revendiquent pas des bibliothèques, des droits aux voyages, ni des espaces de rencontres, ils veulent payer moins, garder ce qu’ils gagnent et acheter le nécessaire. Ils veulent pouvoir payer des sorties à leurs petits-enfants et prévoir des vacances.

Ainsi le gouvernement prend-il en pleine figure ce que le système économique des dernières décennies, a mis dans la tête de « citoyen-consommateur » depuis des années : « le pouvoir d’achat ». Après avoir promis de l’augmenter, campagne électorale après campagne électorale, les citoyens veulent ce qu’on leur a promis. Il y a une réelle logique dans leurs requêtes. Les légitimes revendications sont à la mesure du niveau auquel notre vie politique a réduit la société en « parc de consommation », et les citoyens en consommateurs.

Le bonheur des citoyens ne se trouve pas dans une enveloppe fiscale, mais le manque d’argent finit par atteindre la capacité de vie sociale des Français.
Pour reprendre le pouvoir, les responsables politiques devront avoir l’humilité de reconnaître qu’ils n’ont pas le pouvoir sur tout ce qui fait le dynamisme d’un pays. Le bonheur des citoyens ne se trouve pas dans une enveloppe fiscale, mais le manque d’argent finit par atteindre la capacité de vie sociale des Français. Le pouvoir politique ne retrouvera son pouvoir réel qu’en raison d’une haute considération pour la puissance des liens humains, familiaux et amicaux, sur lesquels il n’a pourtant pas de pouvoir.

La classe politique, en effet, perd son pouvoir lorsqu’elle s’obstine à faire varier les paramètres d’une machine économique, à soumettre les citoyens à une folle exigence de consommation au lieu de faire sa propre chasse aux dépenses. La réduction de l’exercice du pouvoir politique au seul pouvoir d’achat a fait la ruine de la confiance en la vie politique. L’incapacité à juguler la spectaculaire inflation des prix de ces vingt dernières années, conjuguée à l’accélération des dépenses technologiques imposées aux ménages, a siphonné le pouvoir d’achat des Français et amené le spectre d’une précarité pour tous.

Parviendrons-nous à nous regarder autrement que par le biais des impôts, des fiches de paies, des crédits ? Le pays respire lorsqu’il regarde et encourage des personnes avant de les mesurer à leur consommation. Le signal d’alerte aura été donné.

Source : www.lavie.fr