« Dieu ne choisit pas les plus forts »

Paris Notre-Dame du 9 février 2023

Prédicateur du pèlerinage du Rosaire à Lourdes, en 2022, le P. Sylvain Detoc, dominicain, a travaillé ses homélies autour du thème Comme Bernadette, allez dire. Il en a fait un livre, La Gloire des bons à rien, publié en septembre, qui s’applique à redécouvrir la pâte humaine dans ce qu’elle a de plus réel. Explications.

P. Sylvain Detoc, dominicain, a publié en septembre l’ouvrage La Gloire des bons à rien.
© Sophie Delay

Paris Notre-Dame – Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

P. Sylvain Detoc – Le point de départ est ma nomination, il y a un an, de prédicateur du pèlerinage du Rosaire 2022. Le thème choisi était Comme Bernadette, allez dire… J’ai choisi de me concentrer sur la figure de Bernadette, une pauvre choisie par Dieu. J’avais cette impression que Dieu confie sa parole aux personnes qui, à vue humaine, ne sont pas compétentes… J’ai approfondi le sujet et le livre a paru une semaine avant le début du pèlerinage. Il est porté par deux axes : le fait d’accepter d’être ce qu’on est – c’est-à-dire un être humain – et le fait d’accepter d’être qui on est – un homme, une femme, avec une histoire particulière. En tant qu’aumônier d’étudiants, je me rends compte qu’il y a cette tentation de rêver sa vie, de se réfugier dans un idéal. Il est urgent que les chrétiens apprivoisent leur pâte humaine. Non, les baptisés ne sont pas des anges ; les membres du clergé, des séraphins. Ce qui est terrible, c’est qu’il nous faut des histoires sinistres, terriblement douloureuses, pour nous en rendre compte.

P. N.-D. – Vous invitez à « accueillir audacieusement un Salut de la chair » plutôt que d’ « imaginer un Salut sans la chair »…

S. D. – C’est la vieille quête philosophique qui induit à penser que le Salut consiste à nous défaire de notre humanité terrestre. Mais ce que Dieu vient sauver, c’est notre réalité humaine justement. Le péché n’est pas dans l’épaisseur ontologique. Le péché est dans le cœur. Jésus n’a de cesse de le répéter. C’est du cœur que naissent les mauvaises pensées, les mauvais projets. On fait fausse route en imaginant que le but de la vie chrétienne est de s’acharner contre son propre corps. Le but de la vie chrétienne est plutôt d’apprivoiser ce corps, avec Dieu. Et cela prend du temps. C’est un lieu où s’exerce l’humilité, où s’engage le combat spirituel. Dieu ne choisit pas les plus forts, les plus parfaits. Toute l’histoire sainte, peuplée de pauvres en tous genres, le montre. La question n’est pas de démythologiser l’Écriture mais de désacraliser là où le sacré est mal placé. Le christianisme n’est pas l’apprentissage de valeurs, même des valeurs morales, c’est d’abord l’histoire d’un Salut. L’être humain ne peut pas se donner, par lui-même, ce à quoi il est appelé, c’est-à-dire vivre en communion avec Dieu. À nous de l’accueillir, ou pas.

P. N.-D. – Cela peut paraître tellement difficile dans cette société régie par le contrôle… Comment faire ?

S. D. – Le curseur n’est pas facile à trouver. Se déprécier n’est pas bon. Mais parfois, on place la barre tellement haut que cela finit par devenir une sorte de pélagianisme. On voudrait être un champion de la vie chrétienne, de l’évangélisation... Il est impossible de maintenir un tel niveau sur la durée. Et on s’en rend rapidement compte. Les personnes que nous admirions pendant des années se révèlent souvent, après coup, pas si admirables que cela. Ce qui entraîne une profonde désillusion, une amertume, une déception. Dans un premier temps, il nous faut savoir encaisser la déception, et, à partir d’une prise de conscience plus réaliste de ce qu’est l’être humain, commencer à consentir à être ce que l’on est et qui on est, devant Dieu. Là alors, un chemin de confiance s’ouvre. Le combat spirituel existe mais il n’est peut-être pas là où on le croit. Il consiste à accueillir le projet de Dieu sur notre vie. Nous sommes des personnes que Dieu a créées, qu’il aime et qu’il est en train de sauver. L’ascèse, qui peut être positive, consiste à libérer cet enfant de Dieu de toutes ses entraves. Saint Irénée disait que « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu ».

Propos recueillis par Isabelle Demangeat @LaZaab

La Gloire des bons à rien, Sylvain Detoc,
Le Cerf, sept. 2022,
160 p., 16 €.

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