« La terre rend humble »

Paris Notre-Dame du 23 février 2023

Après des études de philosophie, Mathieu Yon a décidé de quitter la ville pour revenir dans la Drôme et devenir maraîcher. Il explique son choix et raconte, d’une plume sobre et poétique, ses découvertes humaines et spirituelles dans le livre Notre lien quotidien. Une vraie bouffée d’air frais et profond alors que s’ouvre, le 25 février, le Salon de l’agriculture.

Mathieu Yon, auteur du livre Notre lien quotidien (Nouvelle Cité).
© DR

Paris Notre-Dame – Vous lancez, dans votre ouvrage, un appel assez clair : celui de revenir à la terre, de reconnecter au monde paysan. Pourquoi ?

Mathieu Yon – C’est là que j’ai trouvé un sens et un équilibre de vie. Mais, plus globalement, il y a un fort besoin aujourd’hui, chez les personnes qui habitent en ville, de ce qu’on peut appeler « la nature » ou « le sauvage », qui ont d’ailleurs tendance à être idéalisés – la campagne est un mélange de nature et de culture, de sauvage et de domestication. En parallèle de ce besoin de nature, le monde paysan s’effondre d’année en année. En 1970, on comptait deux millions de paysans. Aujourd’hui, nous sommes moins de 500 000… C’est comme si nous avions oublié le fait que nous faisons partie du vivant. Nous avons oublié le lien au vivant.

P. N.-D. – Votre appel est plus large qu’un appel à un changement géographique. Il s’agit d’un changement de pensée, ancrée dans la matière. Pourquoi ?

M. Y. – Aujourd’hui, il y a cette tendance à vouloir mettre la matière d’un côté, à la considérer comme quelque chose sans âme, comme un ensemble de molécules qu’on pourrait découper à l’infini ; et à placer, de l’autre côté, l’activité intellectuelle, la réflexion. Ces catégories doivent tomber. Le travail intellectuel n’est pas au-dessus du travail manuel. Pour moi, une pensée charnelle passe par le corps, et se rapproche ainsi d’une vision chrétienne du monde. La question de l’incarnation m’est d’ailleurs devenue beaucoup plus explicite depuis que je suis paysan. L’Évangile est peuplé de métaphores agricoles. Il nous faut redécouvrir les sensations du corps, et faire se rencontrer cette redécouverte avec nos moyens de subsistance. Sinon, on continuera à compartimenter notre existence. On continuera à désagréger le monde en bossant pour une grosse boîte la semaine et à nous prendre des petites accalmies le week-end en allant passer une nuit à la belle étoile dans le massif central. Il va falloir, à un moment donné, faire rejoindre ces deux pans de notre vie, revenir à une unification. J’ai toujours été frappé de voir Spinoza gagner sa vie en polissant des verres de lunette et consacrer ses soirées à élaborer une pensée philosophique. Tous les grands philosophes d’avant la modernité n’étaient pas purement philosophes. Le contact avec la matière leur donnait des arguments et des idées pour alimenter leur pensée.

P. N.-D. – Vous parlez d’une spiritualité de la terre. Pouvez-vous développer ?

M. Y. – La terre rend humble. Jésus le dit d’ailleurs dans les Béatitudes. On peut avoir plein de théories mais à un moment donné la question est de voir si oui ou non mes plants de tomates vont donner du fruit. C’est très concret. Il s’agit aussi d’un dialogue. Je prends soin de mes plantes et elles me donnent quelque chose en échange. Avant de faire ce métier, j’ai côtoyé beaucoup de milieux spirituels. J’ai vécu des expériences très fortes mais depuis que j’ai relié une pratique spirituelle à une pratique agricole, tout s’est éclairé, tout a pris sens. La terre m’est devenue très concrète tout en m’échappant totalement. Il peut faire 40 degrés un jour, pleuvoir le lendemain… C’est sans arrêt en mouvement et il y a tout de même une continuité de douceur, de tranquillité. Pour moi, c’est un enseignement spirituel : être apaisé dans le mouvement. Il s’agit de se mettre en lien avec des choses qui nous échappent. Et qui nous échappe plus que Dieu, celui qui est à la fois le plus près, le plus intime et le plus loin ?

Propos recueillis par Isabelle Demangeat @LaZaab

Notre lien quotidien, Mathieu Yon, édition Nouvelle Cité, 144p., 14€90.

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