Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de la Vigile Pascale

Cathédrale Notre-Dame de paris - Samedi 3 avril 2010

 Gn 1, 1 - 2, 2 ; Gn 22, 1 – 13, 15 – 18 ; Ex 14, 15 – 15, 1 ; Is 54, 5 – 14 ; Is 55, 1 – 11 ;
Ba 3, 9 – 15.32 – 4, 4 ; Ez 36, 16 – 28 ; Rm 6, 3b – 11 ; Ps 117 ; Lc 24, 1 – 12

Frères et sœurs,

Chaque année dans cette cathédrale, l’évangile de la Résurrection est proclamé en grec. C’est un signe de communion dans la même foi au Christ ressuscité avec nos frères orthodoxes. Cette proclamation a cette année une portée particulière puisque, comme cela arrive de temps à autre, tous les chrétiens célèbrent la Pâque à la même date. Je me réjouis que nous annoncions dans l’unité la Résurrection du Christ, et je souhaite à nos frères orthodoxes la joie de la Résurrection.

Comme nous venons de l’entendre, Pierre était tout étonné de ce qui était arrivé. Le témoignage des femmes qui avaient vu le tombeau vide et qui étaient venues raconter leur aventure aux onze et à leur compagnons les avait laissés dans la plus grande perplexité. Le texte dit même qu’ils trouvaient les propos des femmes délirants. Nous sommes trop habitués à parler du Christ Ressuscité comme si c’était une chose allant de soi. Et nous avons peut être un peu perdu de vue que le fait de croire à la résurrection d’un homme est quelque chose de tout-à-fait incroyable, de stupéfiant et pourquoi ne pas le dire, de délirant. Et pourtant, c’est à cet acte de foi que nous sommes invités en cette nuit. Dans quelques instants, nous referons notre profession de foi au Christ ressuscité. Pour nous aider à progresser dans l’appropriation de cette bonne nouvelle, il est bon que nous empruntions le chemin suivi par les disciples à qui la résurrection du Christ a été annoncée en premier.

Ceux-ci avaient été doublement préparés à ces évènements : par toute leur tradition et par le compagnonnage avec Jésus. Nous venons d’entendre quelques récits marquants de l’histoire à travers laquelle Dieu a noué avec l’humanité une alliance solide et éternelle : la création, l’alliance avec Abraham et Israël, la libération d’Egypte, les prophéties sur Jérusalem, les promesses de retour de l’exil et le retour de Babylone. Pour nous, ces textes évoquent la grande geste du dessein divin. Pour les disciples comme pour tous les juifs du temps de Jésus, ces événements marquaient profondément la culture et la vie d’Israël. La célébration des fêtes en conservait le souvenir et en manifestait l’importance. Les disciples connaissaient intérieurement toute cette histoire.

Mais plus encore, leur compagnonnage avec Jésus de Nazareth, le chemin parcouru avec lui, les gestes et les signes qu’il avait accomplis devant eux et les paroles qu’il avait prononcées les préparaient plus immédiatement à ces évènements. Peu de temps auparavant, il y a quelques mois tout au plus, Jésus leur avait annoncé par trois fois ce qui allait se produire : son arrestation, sa mort et sa résurrection. C’est ce qu’évoque la parole de l’ange aux femmes : « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit » (Lc 24, 6). Ainsi donc, toutes les clefs étaient disponibles pour les disciples.

Et pourtant ils n’y croyaient pas, ils ne pouvaient pas encore y croire. Comme nous le lisons dans les différents récits des manifestations du Christ ressuscité, la rencontre avec le ressuscité laisse toujours planer une sorte de doute. Les disciples se demandent : « Est-ce bien lui ? ». Ils se disent : « Oui c’est bien lui, mais ce n’est tout de même pas tout à fait lui… ». Ils le reconnaissent à la fraction du pain, en le touchant, en parlant avec lui, mais il n’est plus tout à fait le même. Et jusqu’à la Pentecôte, l’expression de la foi au Christ vivant, présent et agissant restera pourtant balbutiante et hésitante. C’est seulement par le don de la puissance de l’Esprit que cette foi passera d’une sorte d’expérience confuse et intime réservée au petit cercle des familiers du Christ, à une affirmation publique et pleine d’assurance, comme dans ce discours de Pierre dans les actes des apôtres le jour de la Pentecôte, qui sera la véritable profession de foi de l’Église.

Car finalement, ce que nous pensons ou ce que nous croyons n’est pas encore le tout de notre foi. Ce qui compte est ce que nous pouvons annoncer. Le cœur de notre foi, c’est ce que nous sommes capables de proposer et de partager aux autres. A quoi servirait-il que nous soyons profondément convaincus de la Résurrection du Christ, si nous étions incapables de le dire à personne ? Croire au Christ ressuscité, ce n’est pas simplement avoir une idée fixe, avoir vécu des expériences exceptionnelles ou profiter d’une communion intime avec lui. Croire au Christ ressuscité c’est devenir son témoin. C’est ce que vivent les femmes après avoir été admonestées par l’ange : « Arrêtez de regarder par terre. Ne cherchez pas parmi les morts celui qui est vivant. Le Christ n’est pas dans les tombeaux. Il est comme il vous l’a dit en Galilée. Allez ! » (Cf. Lc 24, 5-6). Et elles vont rejoindre les onze pour leur raconter leur histoire. D’ailleurs, dans un premier temps, ce ne sera pas très concluant, comme nous l’avons lu, puisqu’ils pensent qu’elles délirent et ont du mal à les croire.
Nous aussi avons refait en quelques lectures notre petite histoire d’Israël. Ce condensé d’histoire sainte ravive en nous un peu de cette culture de l’Alliance et un peu de la mémoire des gestes de Salut que Dieu a posés à travers le temps depuis la création du monde. Ce parcours est suffisant pour que nous partagions un peu de cette sagesse d’Israël qui nous permet de regarder le monde autrement que comme un accident céleste. Si nous sommes là ce soir, ce n’est pas simplement par hasard ou parce qu’il y a eu des conflagrations stellaires il y a quelques milliards d’années. C’est parce que Dieu, à travers l’histoire des hommes, à travers les générations qui nous ont précédées et à travers l’histoire de notre vie ; Dieu a tracé un chemin pour rassembler ce peuple dispersé sur toute la terre et aller le chercher dans des endroits impossibles ou dans des situations inimaginables.

Sachant cela et éclairés par la puissance de l’Esprit Saint que nous avons reçu, nous regardons ces événements qui sont survenus à Jérusalem comme quelque chose qui nous regarde aujourd’hui, et non pas comme des énigmes dont une bonne émission de télévision pourrait nous apporter les clefs en nous révélant ce que nous ne savons pas encore sur Jésus-Christ. Nous ne faisons pas simplement mémoire de l’événement passé, de la mort et de la résurrection du Christ. Comme saint Paul nous le dit dans l’épître aux Romains : « Si nous sommes déjà en communion avec lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons encore par une résurrection qui ressemblera à la sienne » (Rm 6, 5). Croire au Christ ressuscité, ce n’est pas simplement accorder notre soutien à des pensées un peu délirantes ou à des propos invérifiables sur quelque chose qui s’est passé il y a deux mille ans, c’est reconnaître aujourd’hui qu’Il est vivant ! La longue histoire de l’Alliance nous dit comment Dieu a agit à travers le temps et nous apprend à reconnaître comment Dieu agit aujourd’hui, comment le Christ ressuscité agit aujourd’hui dans le monde, dans notre vie et dans la vie de tous les hommes. Aujourd’hui, il nous entraîne de la mort à la vie.
Ainsi, s’il y a une difficulté et une résistance réelle à croire à la Résurrection du Christ, ce n’est pas d’abord un problème historique. Le plus difficile n’est pas de savoir si nous acceptons d’apporter du crédit aux dires des femmes qui ont vu le tombeau vide ou à Pierre quand il annonce aux juifs de Jérusalem la Résurrection le jour de la Pentecôte. Le plus difficile est de croire aujourd’hui que nous sommes vivants, de croire que dans ce monde ou dans notre existence, la vie est plus forte que la mort, de croire que le Christ est vivant pour nous aujourd’hui et qu’il se donne comme vivant pour nous faire vivre. Comme saint Paul le redit dans l’épitre aux Romains, croire à la Résurrection du Christ c’est accueillir une vie nouvelle, c’est entrer dans une nouvelle manière de vivre. Et nous voyons bien que pour celui qui a tellement de difficulté à entrer dans une nouvelle manière de vivre, peut-être vaut-il mieux ne pas croire que le Christ est ressuscité. Parce que celui qui y croit vraiment ne peut plus continuer à vivre comme s’il était dans la mort. Il lui faut cesser de regarder par terre comme les femmes au tombeau, cesser de chercher celui qui ne disparaîtra pas dans ce qui va disparaître et dans les tombeaux pour le chercher parmi les vivants. Mais ceci demande qu’il détourne ses yeux, son attention, son cœur et sa volonté de tout ce qui est l’œuvre de mort dans sa vie.

Tout à l’heure, deux d’entre-nous vont être baptisés. Ils vont plonger dans la mort et la Résurrection du Christ, pour passer d’une vie ancienne à une vie nouvelle. Ils vont être conduits à ne plus regarder par terre et à ne plus chercher parmi les morts celui qui est vivant. On n’entre pas dans l’Église pour visiter un cimetière mais pour rencontrer un vivant. Pour tous ceux qui parmi nous ont été baptisés bébé ce sera une occasion de plonger à nouveau dans notre baptême. Quand Yuhnan et Ingrid Johanna vont être baptisés et que je vais leur enlever leur écharpe de pénitence qui est le signe de la mort, quand ils vont surgir pour la vie, ils ne vont pas se transformer devant nos yeux. Ils seront les mêmes, un peu comme Jésus qui est après la Résurrection le même qu’avant sa mort. Et, de la même façon que les disciples qui rencontrent Jésus Ressuscité se disent qu’il n’est pas tout à fait le même, nous savons que ces deux nouveaux baptisés ne seront plus tout à fait les mêmes. Ils seront plongés dans une nouvelle vie, vivants pour toujours, associés définitivement à la vie du Christ, participants pleinement à la vie de l’Église et communiant au corps et au sang du Christ. Ils seront des chrétiens.

Il est possible qu’autour de nous, il soit plus difficile d’accepter que des gens soient chrétiens que d’accepter d’entendre raconter des histoires sur la Résurrection du Christ. On entend tellement d’histoires que celle-là peut n’en être qu’une autre. Mais rencontrer, Pierre, Paul, Jacques, Jean, Marie, Marie-Madeleine - qui sont comme vous et moi - et découvrir qu’ils vivent autrement, qu’ils vivent d’autre chose, qu’il y a dans leur vie quelque chose qui domine tout, qui construit tout, qui entraîne tout, qui irrigue tout et qui les arrache à la mort, c’est plus difficile.

On demande souvent comment l’Église trouve sa place dans notre société et comment les chrétiens peuvent être fidèles à l’Évangile. Ils n’ont qu’à être, qu’à vivre, qu’à se laisser conduire par l’Esprit du Christ ! Ils n’ont qu’à mettre en pratique la Parole de Dieu, goûter à la sagesse de Dieu à travers l’Ecriture, qu’à participer à la vie de leur communauté. Il leur suffit tout simplement d’essayer d’être des hommes et des femmes fidèles à l’amour du Christ pour que l’on sache où sont les chrétiens. Sans qu’ils aient besoin de porter une pancarte, chacun saura les trouver parce qu’on les verra vivre de l’Evangile. Proclamer notre foi au Christ Ressuscité c’est la montrer par notre manière d’être, de vivre, d’être en relation avec les autres et de servir nos frères. Tout ceci manifestera qu’il y a dans notre vie quelque chose qui compte plus que notre propre existence, que notre argent, que notre temps et que nos succès : la fidélité et la force de l’amour, le service que le Christ assume par son Esprit en nous remplissant de son amour.
Frères et sœurs, en cette nuit Sainte sachons accueillir cette nouvelle : Jésus n’est pas dans un tombeau, il est vivant ! Nous ne sommes pas appelés à la mort, nous sommes appelés à la vie ! Si nous croyons qu’il est vivant nous devons vivre comme des vivants, et si nous vivons comme des vivants le monde sera transformé !
Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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