Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de l’Ascension à la Maison Marie-Thérèse

Jeudi 18 mai 2023 - Maison Marie-Thérèse (14e)

– Ascension du Seigneur – Année A

- Ac 1 ;1-11 ; Ps 46,2-3.6-9 ; Ep 1,17-23 ; Mt 28, 16-20

Frères et sœurs,

Quand les disciples voient Jésus s’élever dans la nuée et disparaître à leurs yeux, ils franchissent un pas décisif dans leur relation avec lui, puisqu’ils passent d’une relation – dont saint Paul dira plus tard que c’est une connaissance charnelle – à une relation qui est une relation dans l’Esprit. Jésus, absent de corps, est toujours présent en eux par l’Esprit Saint qu’il leur a envoyé.

Mais nous voyons bien comment ce passage d’une première étape de la reconnaissance du Christ comme Messie à la plénitude de la foi dans l’Esprit est un long chemin, qui a dû traverser beaucoup d’épreuves pour aboutir à la Pentecôte. Jusqu’au dernier moment, comme nous l’avons entendu dans le Livre des Actes des Apôtres, les disciples, comme les disciples d’Emmaüs, croyaient qu’il allait rétablir le Royaume d’Israël. Ils portaient toujours l’image de ce Messie victorieux qui s’imposerait dans le temps de l’histoire. Ils ne portaient pas l’image d’un Messie glorieux qui seraient hors de l’histoire.

C’est ce passage qu’ils vont vivre au moment de la Pentecôte et que nous sommes invités à vivre avec eux. Car nous aussi, nous avons nos « messies » à notre service, pour arranger les choses de ce monde. Bien souvent, notre foi se laisse emporter par une dimension utilitaire. Nous demandons à Dieu qu’il arrange nos affaires. Certes, nous ne lui demandons pas de rétablir le Royaume d’Israël, mais nous lui demandons de faire que les choses se passent mieux pour nous, c’est-à-dire selon notre désir. Il nous faut faire un chemin long et éprouvant pour passer de cette confiance en un Dieu redresseur de torts à un Dieu Père des miséricordes, décidé à rassembler l’univers entier dans sa main et à en faire sa famille. Ce passage du Dieu magicien qui arrangerait les choses à notre demande, vers un Dieu qui nous reste inconnu, dont nous ne mesurons pas toutes les dimensions de l’amour et de la volonté de sauver le monde, c’est le chemin de notre foi dans lequel nous sommes engagés par le don de l’Esprit Saint que nous avons reçu.

Mais nous le savons, nous devons constamment revenir à ce fondement de la foi : le Christ, absent de corps, invisible, est celui qui est présent à notre vie jusqu’à la fin du monde. Nous devons sans cesse nous rappeler la parole qu’il a dite dans l’évangile de saint Jean : « Tu as cru parce que tu as vu, heureux ceux qui croiront sans avoir vu ». Nous sommes de ceux qui croient sans avoir vu.

Évidemment, nous savons bien que Dieu nous aide à cheminer dans ce chemin de foi. Il nous donne des signes comme Jésus tout au long de sa vie publique a donné non seulement un enseignement mais aussi des signes visibles de la puissance de Dieu. Mais justement, ce n’étaient que des signes, ils étaient destinés à susciter ou à fortifier la foi. De même, au long de l’histoire humaine, Dieu donne des signes, il peut faire des miracles, mais ces miracles ne sont pas le fruit de nos demandes, ils sont des signes pour éveiller et fortifier la foi en celui que nous ne voyons pas. Nous n’avons pas foi dans le miracle que nous voyons, nous avons foi en celui qui en est la source et que nous ne voyons pas.

C’est la caractéristique particulière de notre foi chrétienne de nous attacher à la personne de Jésus, que nous aimons sans l’avoir vu comme dira saint Pierre, et que nous servons et que nous prions sans le voir encore, grâce à sa présence active en nos cœurs par l’Esprit qu’il nous a donné. L’Esprit, nous ne savons ni d’où il vient ni où il va, comme dit l’évangile de Jean, mais nous savons que Jésus l’a envoyé aux disciples et que par les disciples, il nous l’a donné.

Dans ce chemin obscur de la foi, comme disait l’évangile tout à l’heure : certains eurent des doutes. Eh bien, nous aussi, nous avons des doutes dans ce chemin obscur de la foi ! Et pourtant, Dieu, pour nous accompagner dans ce chemin, pour nous aider à progresser, nous donne des signes visibles à travers les sacrements de son Église. Nous savons que c’est au Christ glorieux que nous allons communier tout à l’heure. Nous savons que c’est le Christ glorieux qui nous a accueillis dans le baptême, qui nous a donné son Esprit. Nous savons que c’est le Christ glorieux qui accompagne ceux qui souffrent et qui leur donne la force de garder la foi et l’espérance quand tout est perdu. Nous savons que c’est le Christ glorieux qui est le compagnon de route de toute notre vie, du premier jour au dernier jour. Il est avec nous pour toujours jusqu’à la fin des temps.

Nous savons que ce Christ est visible et que nous pouvons le rencontrer, le servir, dans son corps qui est l’Église comme nous le dit l’Écriture dans l’épître aux Éphésiens. Il est la tête de ce corps, nous sommes les membres de ce corps par l’Esprit Saint. Nous ne faisons qu’un avec lui, et par l’Esprit Saint nous recevons la puissance de Dieu pour être fidèles à cette relation au Christ.

Qu’il nous donne la joie d’être heureux de le connaître sans le voir, de l’aimer sans le voir encore, et d’espérer le rencontrer à la fin de notre vie.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris

Homélies

Homélies