Lettres du père Henri Planchat

Extraits de lettres du père Henri Planchat de son arrestation le 6 avril 1871 jusqu’à son exécution le 26 mai 1871.

Peloton d’arrestation par Bertall
© Cahier du Figaro, 1872

349 - à son frère Eugène

Mazas, 19 avril 1871
(3ème Division, n° 11)

Cher frère,

Je reçois à l’instant ta lettre si affectueuse. Par une grâce spéciale de Dieu, je ne suis ni malade ni triste. Je prie Dieu pour tous, surtout pour ma double famille naturelle et spirituelle : en particulier pour ces pauvres apprentis et jeunes ouvriers dont je me trouve séparé, à la veille de leur Première Communion. Dieu saura la leur faire faire tout de même.

Je n’ai pas douté un seul instant de tes préoccupations, de tes prières pour moi, pas plus que de celles de Marie [belle-sœur]. J’ai pensé que tu étais bien occupé, au Val-de-Grâce, des pauvres blessés. Je savais du reste la suspension des correspondances.

J’ignore absolument ce qui se passe au dehors. Toi seul peux juger s’il y a lieu à quelques démarches propres à me rendre bientôt à mes pauvres et à mes malades.

(...)

Adieu, cher Eugène ; je t’embrasse de cœur, ainsi que Marie [Pauline], ton frère reconnaissant,

l’abbé Planchat

351 - à Mme Mauregard

Mazas (3ème division, n° 11) 25 avril 1871

Madame,

Je suis vraiment reconnaissant à toutes les bonnes personnes qui me conservent souvenir dans mon exil, à vous en particulier, puisque vous vous faites leur organe.

Priez, priez beaucoup les uns et les autres pour que je profite de l’épreuve. Si je savais, pendant cette retraite forcée, réfléchir devant Dieu aux moyens de me rendre un peu moins brusque, un peu moins inutile à ceux qui me demandent aide et conseil, ce temps n’aurait été perdu pour personne. Si quelque chose peut me le faire trouver long, c’est la pensée que l’on s’inquiète de moi, et que mes pauvres malades désirent ma visite ; mes bons apprentis, leur Première Communion.

C’est dimanche prochain la Fête de la Protection de St Joseph ; obtenez de lui qu’il me délivre pour vous autres, si telle est la volonté de Dieu.

Votre serviteur,
l’abbé Planchat

352 - à Mme Dumont

Mazas, 30 avril 1871
fête de la Protection de Saint Joseph

Madame,

Je ne puis tarder un instant à vous dire combien je suis touché de votre souvenir compatissant.

Votre carte apportée par vous-même me dit assez combien vous eussiez désiré me voir. – Mon frère lui-même n’a pu y parvenir. – Prions Dieu que la guerre civile cesse au plus tôt ; c’est certes la plus cruelle des séparations !

Je ne puis pas dire que je ne souffre point d’être arraché à mes malades, à mes apprentis, à mes pauvres, aux consolations de mon ministère.

Mais ce qui me prouve que tous ceux à qui je pense prient pour moi, c’est que je me résigne, ne récrimine contre personne et demande la lumière pour ceux qui s’imagineraient que je pense à autre chose qu’à faire un peu de bien à ceux qui souffrent.

Demandez les mêmes grâces par saint Joseph, vous et notre cher malade. Réservez, je vous en prie, puisque je ne saurais lui en porter moi-même, réservez pour lui, – je vous en serai vraiment reconnaissant – les douceurs dont vous auriez encore à disposer pour moi.

J’ai écrit dès les premiers jours de ma captivité à un bon vicaire de Ste-Marguerite, à l’abbé Grandel, mon condisciple de Séminaire pour le supplier d’aller visiter votre cher malade. Je ne doute pas qu’il ne l’ait consolé déjà plusieurs fois. Dites à ce cher ami que j’ai chaque jour pour lui une prière et un souvenir particuliers. Donnez-moi, s’il vous plaît, de ses nouvelles.

La plupart des lettres qu’on m’a écrites, toutes celles, je crois, qui m’ont été adressées ici, me sont parvenues, par la voie droite et légitime, bien entendu. Nos surveillants sont pleins d’attentions pour nous.

Si M. l’Abbé Grandel n’était pas encore venu, c’est qu’il n’aurait pas reçu ma lettre écrite au dépôt de la préfecture. En ce cas là, je vous supplierais d’aller lui demander de ma part, cette lettre en main :

prompte visite pour notre cher malade.

Votre tout dévoué serviteur,
L’abbé Planchat, prêtre

355 - à ses collaborateurs

Mazas, 8 mai 1871

C’est les larmes aux yeux que j’ai lu hier votre billet de samedi. Je venais de lire les premières Vêpres de l’apparition de saint Michel. Je me suis senti tout de suite l’inspiration de mettre la première communion, et chacun de ceux que vous préparez si courageusement à la faire, sous la protection du chef de tous les anges et de leur bon ange à chacun. J’aimerais que d’ici à la première communion, à chaque catéchisme, on dise un Je vous salue, Marie avec les invocations : saint Michel, p. p. n. [1] – saints Anges gardiens, p.p.n. – en union avec la neuvaine que j’ai commencée hier pour la première Communion de l’Ascension. Peut-être après le dîner, devant la sainte Vierge de notre mois de Marie, vous pourriez chaque jour dire la même prière.

Si là et au Catéchisme on avait une intention pour ma délivrance, ce serait bien charitable. J’ai fait d’avance hier, entre les mains de la très sainte Vierge, le sacrifice de ma présence à la première communion, si ce sacrifice peut être utile à la préparation de nos chers enfants et de leurs parents. – Si le bon Dieu voyait, lui,
quelque utilité à ma présence à Ste-Anne, en ce beau jour, il saurait bien la procurer en échange de vos prières. Je vous avoue que je l’en remercierais du fond de l’âme et oublierais en ce moment toutes les peines du passé, toutes les préoccupations de l’avenir...

(...)

l’abbé Planchat, prêtre

358 - à M. Derny

Mazas, 3ème Division n° 11 – 12 mai 1871

Cher ami,

(...)

Il y aurait aussi à voir s’il reste assez de chapelets pour tous les enfants ; car pour les enfants comme pour moi les prières ne furent jamais plus nécessaires. S’il manquait de chapelets, M. Alcan, n° 11, rue d’Arras ne refuserait pas d’en donner, en considération de ma captivité. En son absence M. Letaille les donnerait. Vous savez que M. Letaille accorde toujours les cachets de 1ère Communion ; ils seraient à préparer bientôt. Si la Confirmation est indéfiniment remise, il serait bon de les donner dimanche, après la Première Communion.

Je suis plein d’espoir que la Ste Vierge bénira vos généreux efforts pour cette Première Communion qui se fait pendant son mois. Je prie pour cela. Priez pour moi ; je ne me décourage pas ; mais ma pauvre tête se fatigue.

Votre ami reconnaissant

l’abbé Planchat

(...)

361 - à Jules Dumont

Mazas, 3ème Division, n° 11 – 13 mai 1871

(...)

Je ne puis pas dire que je soye malade ; mais les nuits sont bien coupées, bien agitées : la tête se cercle ; les nerfs s’agacent. Cette vie est si opposée à mon tempérament, si étouffante pour mon cœur ! Priez, priez bien la Ste Vierge, s’il lui plaisait de me délivrer pour la première communion de nos enfants !

Je ne veux du reste que ce que Dieu veut ; trop heureux de lui faire un sacrifice de plus. Mille choses à votre mère, à votre oncle pour qui je prie et aux enfants que je laisse.

l’abbé Planchat

(...)

362 - à M. Louis Lantiez

Mazas, 3ème Division, n° 11 – 17 mai 1871

Cher ami,

Voyez si vous le jugez à propos de lire demain à nos chers enfants quelque chose de ce qui suit :

Chers enfants,

Je suis avec vous de cœur. Je sais à chaque heure du jour ce que vous faites pendant votre bonne retraite. Je suis certain que vous priez pour moi. De mon côté je puis dire que de 5h. du matin à 9 h. du soir, je prie pour vous. Non pas que je sois tout ce temps à genoux. Vous priez vous en marchant, avec votre chapelet. Eh bien ! moi, je fais souvent de même. Le prisonnier est dans son étroite cellule voûtée comme l’oiseau dans sa cage. S’il veut prendre de l’exercice, il faut qu’il sautille de long en large. Même en marchant, je ne récite pas toujours des prières ; mais outre pas mal de chapelets et de psaumes, tout ce que je fais, je l’offre pour vous et pour notre pauvre ville de Paris.

Chers enfants, quand même, – ce que je pense, car je connais votre bon cœur – vous auriez prié pour moi, chaque jour, depuis notre séparation si triste et si inattendue, quand vous auriez redoublé de prières, ce que je crois encore, pendant la retraite, ah ! je vous demande une chose de plus, une chose qui me consolera de ne pouvoir assister à votre Première Communion, quoique je l’aie bien désiré, tout en disant au Bon Dieu : que votre volonté soit faite ! ce que je vous demande, mes chers amis, c’est de penser à moi, au moment où, ayant reçu le Bon Dieu, vous serez à genoux, à votre place, pour l’adorer. Je ne vous demande pas de penser, en ce moment, à moi, le premier, même le deuxième, mais le troisième. En ce moment-là, voyez-vous, chers amis, on obtient tout. Vous demanderez par conséquent en premier lieu le bonheur d’aller au ciel, pour vous-mêmes. Vous le demanderez ensuite pour vos parents ; puis en troisième lieu pour moi.

“Et votre prison, Monsieur ?” La prison, c’est la vie ; plus ou moins grande, la terre est toujours une prison. On n’y voit pas plus le Bon Dieu et la Sainte Vierge, qu’à Mazas, dans sa cellule, on ne voit ses chers apprentis et jeunes ouvriers de Ste-Anne.

Cela ne veut pas dire que je vous défende de demander ma délivrance. Oh ! si, sans même vous voir, je pouvais bientôt au moins dire la Messe pour vous et pour tous ceux qui souffrent en ce moment ! Si je pouvais vous revoir avant qu’aucun de vous ne soit arraché à ce bon patronage où vous voulez toujours venir, je le sais bien ! Vous pouvez demander cela au jour de votre toute-puissance, au beau jour de votre Première Communion, mais en ajoutant : “que la volonté de Dieu soit faite !”

Votre ami dévoué

l’Abbé Planchat

(...)

363 - à Mlle Erdeven

Mazas, 3ème Division, n° 11 – 19 mai 1871

Mademoiselle,

Je ne sais pas comment le temps s’est écoulé depuis mon incarcération du 6 avril, sans que j’aie songé à réclamer vos bonnes prières et celles des âmes pieuses que vous connaissez. Du reste le moment le plus important pour cela est venu, puisque la Commune s’occupe tout juste, à cette heure, non de la libération, mais de l’exécution des prêtres. Et pourtant peut-être je vous eusse encore oubliée, si ma pauvre mère, qui se donne pour moi tout le mouvement possible, craignant avec juste raison, – comme je crains moi-même tout en m’abandonnant à Dieu et à Marie, pour ma pauvre carcasse nerveuse, qu’agace le régime cellulaire – si ma pauvre mère, dis-je, ne m’avait annoncé une triste nouvelle, la nouvelle de la mort de ce bon M. Payen. Elle m’a dit qu’elle croyait ces dames à Grenelle. Moi, j’ai cru comprendre, quand je vous ai vue, l’hiver dernier à Ste-Anne que ces dames étaient au Marais, où même elles avaient une ambulance.

(...)

Me voilà, il me semble, remis malgré ma mauvaise nuit. J’ai trois fois besoin de prières pour me tenir prêt à recevoir le coup de grâce qui peut venir, et sans avis préalable et sans confession ; pour me maintenir dans l’amitié de Dieu par le seul secours direct de sa grâce ; pour ne pas perdre par les lâchetés, hélas ! trop fréquentes de ma misérable volonté, le mérite de cette croix bénite envoyée par Dieu, pour mon bien et pour celui de mes chères ouailles.

Votre très reconnaissant serviteur

L’Abbé Planchat

(...)

364 - à son frère Eugène

Mazas, 3ème Division, n° 11 – 21 mai 1871

(...)

Que la volonté de Dieu soit faite et pour ces souffrances et pour le sacrifice de la vie, si je suis déclaré otage et si mon nom tombe au sort à la loterie de la Commune ! Néanmoins ce serait mal, je crois, de m’abandonner moi-même, et je remplis un devoir en écrivant ceci.

(...)

Ton frère reconnaissant,

l’Abbé Planchat

365 - à M. Derny

Grande Roquette, 4ème Section, n° 17 – 23 mai 1871

Mon cher ami,

Etant otage et au dépôt des condamnés, j’ai quelques dispositions nécessaires à prendre.

(...)

Nous avons pu nous confesser. Priez et faites prier pour nous tous, pas seulement pour moi. Adieu, mon cher ami, faites toujours, à nos chers enfants et à tous, le plus de bien que vous pourrez : la récompense là-haut est infinie.

Votre ami bien affectionné et bien reconnaissant,

l’abbé Planchat, prêtre

(...)

366 - à son frère Eugène

Grande Roquette, 4ème Section, n° 17 – 23 mai 1871

Mon cher Eugène,

Je suis ici d’hier soir, en compagnie du plus grand nombre d’ecclésiastiques écroués avec moi, à Mazas, Monseigneur en tête. Nous sommes tous positivement otages, par conséquent bons à fusiller d’un moment à l’autre. Nous avons pu nous confesser. Notre sacrifice est fait.

(...)

Je ne suis pas triste, je t’assure : je prie pour tous ; priez pour moi et pour tous les habitants de la prison. Milles choses à tous, présents et absents, à Provins, à Reims, à Paris, à Moulins, à Constantinople.

Je t’embrasse de cœur, toi et Marie [Pauline].

Ton frère reconnaissant,
L’Abbé Planchat

(...)


Le père Henri Planchat a été inhumé au sanctuaire Notre-Dame de La Salette à Paris 15e.

Pour aller plus loin
http://www.r-s-v.org/fr/postulation/henri-planchat/

Source : Lettre du père Planchat (PDF)

[1Priez pour nous

Les martyrs de la rue Haxo

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