Sacrements, et après ?

Paris Notre-Dame du 18 mai 2023

Le temps liturgique entre Pâques et la Pentecôte permet aux communautés paroissiales d’accueillir de nouveaux baptisés et confirmés, adultes, adolescents et enfants. Un sacrement reçu au terme d’une longue préparation. Et après, que se passe-t-il ? Entretien avec le P. Hervé Géniteau, curé de St-Jean-Baptiste de Grenelle (15e) et vicaire épiscopal pour le catéchuménat, et Marie-Caroline d’Harcourt, coordinatrice du pôle « Grandir » au vicariat Enfance Adolescence.

© Charlotte Reynaud / Diocèse de Paris

Paris Notre-Dame – Comment, chacun dans votre mission pastorale, considérez-vous ce sujet de l’après-sacrement ?

P. Hervé Géniteau – Je pense qu’il faut différencier les sacrements dont on parle. Il y a ceux qui relèvent de l’initiation chrétienne – baptême, confirmation, première eucharistie –, ceux qu’on ne reçoit qu’une fois et ceux qu’on reçoit autant de fois qu’on veut. Comme prêtre, curé de paroisse et en charge du catéchuménat, j’ai une attention particulière pour les adultes qui reçoivent les trois sacrements de l’initiation chrétienne. Le véritable enjeu est de faire en sorte qu’ils puissent s’intégrer dans l’Église au point d’y rester et de maintenir une pratique de la foi. Il y a quelques années, une enquête menée dans le diocèse de Paris montrait qu’une partie non négligeable des adultes ayant reçu le baptême avait abandonné toute pratique religieuse. Et la principale raison donnée était de ne pas se sentir accueilli par la communauté. Voilà, je crois, la réflexion à mener : comment favoriser cette intégration ? Elle se joue, à mon sens, sur plusieurs niveaux : au niveau diocésain, avec, par exemple, l’organisation d’un grand rassemblement ou d’un temps fort spirituel pour les nouveaux baptisés, mais surtout en paroisse, cellule de base de la vie en Église.

Marie-Caroline d’Harcourt – Au vicariat Enfance Adolescence, la réflexion est à la fois similaire et différente, puisque nous ne nous adressons pas à des adultes, mais à des enfants et adolescents. Réfléchir l’après-sacrement est un véritable enjeu pour nous, au point que nous avons totalement réorganisé le vicariat il y a deux ans afin de s’adapter aux nouveaux défis de la transmission de la foi. Il y a désormais un pôle « Première annonce » pour ceux qui n’ont jamais entendu parler de Jésus, un pôle « Initiation chrétienne » pour la catéchèse classique et un pôle « Grandir » spécifiquement créé pour réfléchir à cet après-confirmation, dernier sacrement de l’initiation chrétienne reçu. Il s’agit de coordonner et de développer des projets pour ne pas laisser ces jeunes – de la sixième à la terminale, selon l’âge de la confirmation – sans proposition catéchétique ou spirituelle.

P. N.-D. – Vous évoquez l’intégration dans les communautés paroissiales ou des groupes. Existe-t-il des recettes miracles ?

H. G. – Hélas non ! Les prêtres et les équipes de pastorales doivent rivaliser d’imagination, avec plus ou moins de succès d’ailleurs… Ma conviction, c’est que les adultes devraient être déjà intégrés dans un petit groupe paroissial – chorale, maraude, service caritatif, etc. – avant même qu’ils aient reçu les sacrements d’initiation chrétienne. Pour ce faire, il faudrait présenter les différents groupes dès le début du catéchuménat. Et avant l’intégration, il y a l’accueil. Ce serait merveilleux que des paroissiens invitent à leur table, pendant un déjeuner dominical, un catéchumène. Cela permettrait de donner un visage plus familier à la communauté paroissiale. Cet accueil est fondamental, absolument fondamental, car on n’est pas chrétien tout seul et notre foi se vit en communauté.

M.-C. H. – Pour les jeunes enfants qui reçoivent le baptême ou font leur première communion, nous savons que nous disposons de quelques semaines ou de quelques mois pour convaincre les parents qu’ils sont moteurs et que repose sur eux le développement de cette foi d’enfant. Nous les encourageons à intégrer dans la routine familiale la prière du soir, le réflexe d’aller déposer une bougie dans une église en vacances, la pratique de la messe dominicale afin que cette première communion ne soit pas la dernière… tous ces petits et grands gestes concrets qui permettent de mettre Dieu au cœur de la vie familiale. Pour les adolescents catéchumènes ou confirmés, nous intégrons dans la préparation au sacrement cette réflexion de l’après, en insistant sur deux axes : ne pas rester tout seul, participer à nos grands événements diocésains et s’engager dans un service. Ne pas rester seul, c’est rejoindre une aumônerie même si on est déjà confirmés, intégrer un groupe scout ou une équipe MEJ, etc. Au niveau du diocèse, on propose, une année sur l’autre selon qu’on soit collégien ou lycéen, un rassemblement des confirmés ou la participation au Frat.

H. G. – Il ne faut pas sous-estimer la force de ces grands événements d’Église qui font prendre conscience de la vitalité d’une communauté et qui peuvent redynamiser, bien souvent, une pratique de la foi un peu délaissée…

P. N.-D. – Si on revient sur le catéchuménat, peut-on parler du blues du néophyte ?

H. G. – Je ne sais pas si je le formulerais ainsi, mais le fait est qu’après deux ans de formation assez intense où le catéchumène est très entouré, il se retrouve tout seul. Chaque dimanche de Carême précédant son baptême, il est assis au premier rang et la communauté paroissiale prie pour lui. Le petit groupe du catéchuménat qu’il a fréquenté pendant deux ans n’est plus le sien. Dans un relatif anonymat, il doit désormais plonger dans le grand bain de la communauté paroissiale élargie. Mais la question de l’après-baptême est clairement abordée dans leur préparation qui est organisée, sur deux ans, en quatre axes. Le premier, c’est de découvrir et se familiariser avec la parole de Dieu. Le second permet d’aborder et d’approfondir la question de la conversion : puisque la rencontre du Christ bouleverse une vie, sur quels points suis-je appelé à changer ? C’est là un vrai lieu de discernement pour le catéchumène. Le troisième axe porte sur la prière, personnelle et communautaire ; on leur explique à quel point la prière est importante, notamment dans sa dimension communautaire et dans la célébration de l’eucharistie. Enfin, le quatrième axe aborde explicitement la vie en Église, avec l’intégration dans les paroisses. On voit bien que ces quatre points sont les quatre piliers nécessaires pour développer une vie de foi après le baptême, parce que renouvelée par ce baptême. Et c’est tout le sens d’une préparation que de préparer à l’après-sacrement… Et j’ajouterai même que la préparation et la réception d’un sacrement peut provoquer une réappropriation d’une vie chrétienne. Pour les mariages, par exemple, on voit souvent des fiancés qui renouent, à l’occasion de leur préparation, avec la pratique dominicale qu’ils avaient totalement délaissée…

M.-C. H. – Les enterrements aussi !

H. G. – C’est tout à fait juste, ou les demandes de baptême pour un tout petit enfant. Ce n’est pas rare de voir des couples s’interroger sur la cohérence entre leur désir de baptême et leur vie de foi.

M.-C. H. – En revanche, s’il n’y a « rien » entre la classe de cinquième – année de leur confirmation – et le mariage, alors je crains qu’il n’y ait même pas de mariage à l’église !

P. N.-D. – Comment meubler ce « rien » alors ?

M.-C. H. – Là encore, dans la préparation au sacrement – baptême ou confirmation –, on leur fait prendre conscience de la valeur de l’engage¬ment. Maintenant qu’ils ont reçu tous les dons de l’Esprit Saint, ils doivent pouvoir donner à leur tour par l’engagement ou en rendant des services. Ils sont souvent heureux de cette proposition, car ils sont justement à l’âge où ils sont naturellement généreux. Leur proposer de vivre leur foi en s’engageant, c’est aussi les prendre au sérieux dans leur statut de confirmé, c’est-à-dire « d’adulte dans la foi ». J’ajouterais aussi qu’on peut être dans un collège catholique et participer à l’aumônerie du quartier. C’est même une très bonne chose que les enfants du public et du privé se rejoignent dans une aumônerie !

P. N.-D. – Vous avez évoqué la préparation au mariage. Est-ce opportun d’imaginer une forme de « service après-vente » pour ces sacrements reçus au terme d’une longue préparation ?

H. G. – Pour moi, c’est une bonne idée. Ici, comme ailleurs, on leur propose des équipes de jeunes couples, mariés depuis moins de cinq ans, qu’on réunit par année de mariage. Là encore, c’est l’occasion pour ceux qui sont moins investis dans la paroisse de renouer avec une pratique plus régulière et de faire connaissance avec d’autres paroissiens… Et pourquoi pas, ensuite, se sentir pleinement intégrés dans la communauté au sens large. Pour tous les sacrements, il faudrait qu’il y ait un service après-vente... Même si on peut espérer que ceux qui sont ordonnés prêtres continuent !

M.-C. H. – Mais les jeunes prêtres ordonnés sont suivis pendant trois ans !

H. G. – Oui c’est vrai ! Il y a aussi un accompa¬gnement ! Comme quoi le suivi est très important pour tous…

P. N.-D. – La religion catholique étant peu prescriptive, n’est-il pas aussi question de liberté dans cet après-sacrement ?

H. G. – Bien sûr que la liberté intervient. Nous sommes libres ! Tout l’Évangile en parle. La vérité rend libre et la vérité c’est le Christ. Si je veux grandir dans ma liberté, il faut que je fréquente le Christ. Lorsqu’on reçoit un sacrement, se joue cette question de la conversion. Se convertir, c’est essayer d’engager sa propre vie sur le mode d’une réponse à un appel du Christ.

M.-C. H. – La question de la liberté est plus délicate pour un enfant ou un adolescent. Dans ces âges d’apprentissage à tous points de vue, elle doit nécessairement être guidée, à la fois par la catéchèse et les pratiques de foi familiales.

P. N.-D. – Comment faire lorsque la préparation est très courte ? Je pense par exemple au séance de préparation au baptême pour les enfants de moins de 3 ans…

H. G. – En effet, en deux ou trois rencontres, ce n’est pas évident de tisser un lien durable avec les parents qui viennent demander le baptême pour leur enfant. Certains sont très éloignés de l’église. En trois rencontres, il faut leur faire une catéchèse sur les sacrements, le baptême, et souligner la cohérence d’assurer une éducation chrétienne aux enfants, en les inscrivant au catéchisme quand ils seront plus grands, par exemple.

M.-C. H. – Est-ce que vous envoyez une lettre à ces parents, trois ou quatre ans après, pour leur rappeler d’inscrire les enfants à l’éveil à la foi ?

H. G. – Non, mais ça pourrait être une bonne méthode ! On fait aussi venir les parents un dimanche avant le baptême pour présenter les enfants à la communauté chrétienne, lors de la messe de 11h qui est souvent comble. Cela donne un visage heureux et dynamique de la paroisse… Notre préoccupation, notre obsession même, comme pasteur, c’est d’aller chercher les personnes là où elles en sont et de les faire grandir. Il y a 1000 raisons qui poussent quelqu’un à demander un sacrement. Mais on ne se marie pas, on ne demande pas le baptême, on ne fait pas sa première communion par mondanité. C’est à nous de christianiser la demande, de convertir le regard pour qu’ils voient qu’ils sont assoiffés d’autre chose. C’est là notre rôle, sans cesse rappelé par le pape François, être des disciples missionnaires !

P. N.-D. – Au fond, pourquoi ne peut-on pas se satisfaire que le sacrement soit donné et reçu ?

H. G. – Parce qu’après la préparation et la réception du sacrement opère le déploiement de la grâce. Cette grâce initiale qui est donnée et définitivement donnée, il faut que je puisse la faire vivre par l’eucharistie, la prière et la vie en Église. Le sacre¬ment est le lieu par excellence de la transmission de la vie de Dieu. Cette grâce doit s’entretenir par la réception des sacrements, notamment ceux qu’on reçoit aussi souvent qu’on veut : la réconciliation et l’eucharistie.

M.-C. H. – Et tout notre rôle, comme catéchiste, c’est précisément de les aider à goûter cela pour qu’ils puissent s’en rendre compte, ce qui nécessite à la fois de la pédagogie, mais aussi de faire l’expérience de la prière, de la messe, du silence d’un temps de retraite ou de la joie d’un grand rassemblement.

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

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