Sr Anne Lécu, la foi en couleurs

Paris Notre-Dame du 9 mars 2023

Chaque année, le 8 mars, le monde célèbre la femme. À cette occasion, Paris Notre-Dame vous propose une série de portraits de femmes qui œuvrent au sein de l’Église. Des femmes qui enseignent, des femmes qui conseillent, des femmes qui publient… Premier volet de la série avec Sr Anne Lécu, religieuse dominicaine, médecin généraliste à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et essayiste.

© Isabelle Demangeat

Rencontrer Sr Anne Lécu, c’est un peu comme recroiser une copine d’enfance. Il y a quelque chose d’un naturel qui se tisse immédiatement dans l’échange, et, en même temps, quelque chose qui échappe, qui paraît comme lointain. À 55 ans, cette femme authentique et bien dans ses pompes, est inclassable et plurielle. Religieuse, chez les dominicaines de la présentation de Tours, à Paris ; médecin, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) ; philosophe, essayiste… Peut-être ce qui lie tous ces aspects est sa foi en Christ. Transmise par sa famille à Orléans (Loiret), celle-ci s’est confirmée au début de l’âge adulte. Anne Lécu, alors étudiante en médecine à l’université catholique de Tours (Indre-et-Loire), rencontre des frères dominicains investis dans un centre d’accueil de personnes malades du sida. Expérience décisive. Elle fait naître un questionnement existentiel qui dirigera toute son existence : « Si l’espérance chrétienne a un sens, alors il faut qu’elle réponde à ces personnes qui meurent d’avoir trop aimé. » Anne Lécu fait finalement le choix de Dieu. « Si cette espérance chrétienne vaut la route, je veux y consacrer ma vie. »

Remettre du jeu

Après avoir fini ses études de médecine, elle entre chez les dominicaines en 1994. Prononce ses premiers vœux en 1996. Rien d’extraordinaire, des larmes, pas d’attrait particulier pour la vie sacramentelle – elle avoue dans un grand rire sonore s’ennuyer parfois à la messe – et pas de destinée non plus. Mais, « de même que le poète ne peut pas faire autrement qu’écrire de la poésie, je ne pouvais pas faire autrement que de devenir religieuse », explique-t-elle. « C’était une voie de bonheur possible pour moi », ajoute-t-elle en appuyant sur l’article indéfini. Peut-être y en avait-il une autre ? Sr Anne Lécu compagnonne avec le doute, presque quotidiennement. Comme avec le réel, dans sa complexité, sans vouloir chercher à l’expliquer. Il y a chez elle cette envie très forte de « voir les choses comme elles sont », en étant, à la suite d’Hannah Arendt, « certaine que tout est possible », y compris le pire. « C’est la croix du Christ », souligne-t-elle. Elle en fait le constat tous les jours à la prison de Fleury-Mérogis où elle exerce en tant que médecin généraliste auprès de détenus depuis 1997. « Une école de la réalité » qui nourrit et modifie sa relation à Dieu, et aux autres. « Les détenus, il ne faut pas leur vendre du rêve. » Mais redonner du possible, oui, sortir du déterminisme, « remettre du jeu », « remettre de la souplesse ». C’est d’ailleurs quelque chose qui traverse sa vie et les ouvrages qu’elle publie depuis 2005.

Choisissant des thèmes sur lesquels elle bute – les larmes, Marie, la messe, la souffrance… – et qui traversent son exercice professionnel, titulaire d’une licence canonique en théologie et d’un doctorat en philosophie, Sr Anne Lécu s’impose peu à peu dans la réflexion de l’Église. On pourra ainsi l’entendre à St-Eustache (1er), dans le cadre des conférences de Carême. « Quand on me propose de prendre la parole, je dis oui, et après je bosse dur », confie-t-elle, en constatant que les personnes qui l’écoutent sont souvent plus exigeantes envers un propos prononcé par une femme que par un homme. Elle n’en fait pas toute une histoire, loin de tout militantisme. Pour elle, prendre part à la réflexion permet de participer à la diversité de paroles, à l’image du monde, lui-même pluriel. « Il faut que la vie de Jésus s’exprime dans différentes tonalités », souligne-t-elle en remettant derrière les oreilles ses cheveux qui balaient son visage jovial. La sienne est haute en couleurs.

Isabelle Demangeat @LaZaab

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