Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe au Sacré-Coeur pour la « Marche de Saint Joseph 2013 » du pèlerinage des pères de famille.

Samedi 23 février 2013 - 22h00 – Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre (Paris XVIIIe)

La transfiguration de Jésus devant ses trois disciples est une manifestation de la présence de Dieu parmi les hommes. Pour nous, c’est à travers la vie sacramentelle et dans la Parole de Dieu reçue que s’actualise cette présence. La paternité est appelée à être vécue comme don de soi, à l’exemple du don que Jésus a fait de lui par l’offrande de sa vie dans suprême acte d’amour.

 Gn 15, 5-12.17-18 ; Ps 26, 1.7-9.13-14 ; Ph 3,17 - 4,1 ; Lc 9, 28b-36

Frères et Sœurs,

Pierre, Jacques et Jean sont entraînés par Jésus sur la montagne pour découvrir, à travers son humanité transfigurée, la présence de Dieu parmi les hommes. Mais nous savons bien, pour connaître la suite de l’histoire, que les trois mêmes disciples, Pierre, Jacques et Jean, se retrouveront au Jardin des Oliviers pour découvrir ce que signifie la présence de Dieu dans l’histoire des hommes : non pas une sorte d’exaltation extraordinaire qui les ferait échapper à leur condition, mais au contraire une offrande totale de soi pour recevoir, jusque dans le combat de la liberté, l’épreuve que l’humanité doit subir au cours des âges. C’est le même Jésus qu’ils ont vu transfiguré sur la montagne et qu’ils verront verser des larmes de sang au Jardin des Oliviers.

C’est pour enraciner, approfondir et fortifier leur foi que Jésus les entraîne dans cette vision extraordinaire afin que, s’il est possible, leur foi ne défaille pas au moment de l’épreuve. Parce qu’ils auront vu Jésus glorifié dans sa transfiguration, ils seront à même de ne pas méconnaître Jésus défiguré dans sa Passion.

Cette expérience extraordinaire de la présence de Dieu dans leur histoire, n’est pas simplement une sorte de vision qui leur serait réservée. C’est une forme particulièrement intense de ce qu’ils vivent habituellement avec le Christ. Jésus, présent avec eux sur les chemins de leur vie, c’est Dieu qui est venu à leur rencontre. Et c’est cette présence de Dieu dans leur histoire et dans leur existence qui est le fondement de leur espérance.

Quant à nous, nous ne sommes pas appelés à vivre la même expérience. Nous sommes invités à reconnaître Jésus, non pas dans la vision splendide de la transfiguration, mais dans la manifestation habituelle de sa résurrection à travers la vie sacramentelle à laquelle l’Église nous permet de participer. Aujourd’hui, Jésus vivant dans notre histoire, c’est le sacrement de la présence du Christ que constitue l’eucharistie. Aujourd’hui, Jésus vivant dans notre histoire c’est l’actualité de sa parole telle que nous la recevons dans la liturgie évidemment, mais aussi dans la lecture et la méditation personnelles. Nous ne verrons pas Jésus dans sa gloire, entouré de Moïse et d’Elie, mais nous voyons les fruits de sa résurrection, à travers l’œuvre de l’Esprit tout au long de notre histoire et de notre existence. Aujourd’hui, Dieu continue de s’adresser à nous, aujourd’hui, comme sur la montagne de la transfiguration, il nous dit « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le » (Lc 9, 35).

En cette Année de la Foi que le Saint Père nous a invités à vivre pour marquer le cinquantième anniversaire du Concile Vatican II, cet appel à écouter la parole du Christ résonne à nouveau ; et nous savons que écouter, ce n’est pas simplement prêter l’oreille, mais c’est accueillir au plus profond de notre esprit et de notre cœur, c’est « garder sa parole » (Jn 8, 51), comme nous dit l’évangile de Jean, et garder sa parole c’est la mettre en pratique. Aujourd’hui, écouter la parole du Christ, c’est nourrir notre relation avec Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, c’est alimenter notre foi en Celui qui est venu pour sauver tous les hommes, en Celui qui reviendra à la fin des temps, en Celui qui vient aujourd’hui pour notre monde à travers les sacrements de son Église, à travers le témoignage que les chrétiens lui rendent par la puissance de l’Esprit Saint.

Puisque vous avez vécu aujourd’hui ce pèlerinage des pères de famille, permettez-moi simplement de vous encourager, de vous fortifier dans votre recherche, pour vivre la paternité dans le sens où Dieu veut qu’elle soit vécue, c’est-à-dire comme un don de soi pour l’épanouissement, le développement, la croissance, et, nous l’espérons, le bonheur de celles et de ceux que Dieu a confiés à votre amour.

Tout au long de ces mois, nous avons eu de grandes discussions - sinon un débat organisé -, nous avons eu des expressions multiples dans lesquelles sans doute vous n’avez pas retrouvé l’expérience que vous vivez d’un amour qui se donne et qui se reçoit. Brandir le droit pour revendiquer une relation de service est un paradoxe que l’intelligence humaine a du mal à comprendre. Se donner pour accueillir des enfants, pour leur permettre de grandir, pour les aider à découvrir le sens de leur vie, pour leur annoncer la grâce de Dieu, cela n’est pas avoir un droit, c’est avoir un devoir. Mais nous le savons, tous ces arguments ont largement été exposés et détaillés, et nous savons que les arguments ne convainquent jamais que ceux dont le cœur est ouvert et l’intelligence éveillée. Nous savons que dans ce grand débat qui traverse notre société, l’affectivité tient plus de place que l’intelligence, l’attrait du consensus plus de place que l’amour de la vérité. Aussi, devons-nous apporter quelque chose que seuls nous pouvons apporter, et qui est la pierre de fondement de tout l’édifice familial auquel nous croyons. Ce que nous devons et ce que nous pouvons apporter, plus que des arguments de débat, c’est le témoignage rendu, non pas d’une vie sans difficulté, lisse et idyllique, mais d’une vie ordinaire assumée dans l’amour, portée dans l’amour et fécondée par l’amour, en un mot : le poids de ce que nous pouvons dire, ou de ce que nous pouvons soutenir par la parole, dépend étroitement du signe que nous donnons à travers notre manière de vivre.

C’est ainsi que Dieu, à travers l’histoire des hommes, fait apparaître la vérité de son amour, non seulement par la sagesse de sa révélation, mais encore par l’exemple du don que Jésus fait de sa vie par amour pour les hommes. Jamais sa parole n’aurait suffi à convertir le monde s’il n’était mort et ressuscité. C’est ce passage par la mort et cette résurrection dans la vie dont notre foi est le signe et le moyen, c’est ce passage par la mort et cette résurrection dans la vie qui est le plus beau témoignage que nous pouvons rendre à la paternité de Dieu et le plus beau témoignage que nous pouvons rendre de la justesse de notre expérience de la vie familiale.

C’est pourquoi en ces jours, frères et sœurs, nous devons non seulement redoubler de prière, non seulement rester ouverts à toute discussion et à tout échange d’arguments, mais surtout nous devons vivre ces événements comme une invitation, et, pourquoi ne pas le dire, comme une provocation à mettre notre expérience familiale sous le sceau de l’Évangile, à manifester que vraiment, tel que Dieu nous l’a montré, l’amour est indéfectible et perpétuel comme son alliance.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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