Et si « vieux » rimait en fait avec « précieux » ?

Paris Notre-Dame du 30 septembre 2021

Dans une société régie par la nécessité de l’efficacité, les personnes âgées sont souvent reléguées à la dernière place, voire cachées. Et si, finalement, nous nous privions d’un grand trésor, un trésor d’humanité ?

C’est une petite dame qui vous ouvre la porte. Visage très doux, regard bleu clair, Jany – avec un « y » insiste-t-elle, malicieuse – Lainé, semble vous connaître depuis toujours. Une canne à la main, dos légèrement courbé, elle vous invite à prendre place dans le salon côté cour « très agréable à cette heure », explique-t-elle avant de préciser : « Pour que vous me compreniez, vous devez découvrir mon parcours. » Le débit calme, Jany Lainé raconte son enfance dans le Gard, son père, cadre dans l’industrie, qui fut emmené, pendant la Seconde Guerre mondiale par des maquisards. De quoi le soupçonnaient-ils ? Nul ne le saura jamais. La famille de Jany ne trouvera que ses cendres, à la Libération. De cet épisode douloureux, Jany en fera le moment où elle comprit que « l’amour est plus grand que la mort ». Le moment où elle assit sa vie spirituelle, le moment où son « attrait pour le Christ [lui] a été donné ». Comment, en l’écoutant, ne pas penser à l’adresse du pape François faite aux jeunes lors de son voyage en Slovaquie : « Allez chez vos grands-parents, leur conseillait-il. Cela vous fera du bien : posez-leur des questions, prenez le temps d’écouter leurs histoires. »

Facile aujourd’hui pourtant de les oublier, d’en avoir peur. Les personnes âgées ne correspondent pas aux critères de réussite de la société. Elles représentent au contraire l’anti-succès par excellence : en situation de totale dépendance, le corps atteint par les années. Dans une société rythmée par la nécessité de l’efficacité, le mot âgé est devenu synonyme de « raté ». Étrange quand on sait l’importance de la conservation de notre patrimoine et de nos antiquités, l’argent investi pour rénover des bâtiments historiques. Pourquoi ne pas réserver le même traitement aux personnes riches de leurs années ? De quoi nous privons-nous en nous éloignant d’elles ?

Ralentir

Pour Cécile Klos, responsable hébergement de la Maison Marie-Thérèse qui accueille des clercs du diocèse de Paris et certains membres de leur famille, la perte est importante. Elle souligne avant tout la « bonté et la compassion » dont ces clercs à la retraite font preuve. « L’expérience des personnes âgées leur permettent de ne pas avoir d’idées toutes faites ni de jugements de valeur, explique-t-elle. Elles connaissent la vie, sa complexité. Elles savent que rien n’est blanc ou noir. Elles n’ont pas de certitude. » Leur présence se fait donc plus douce, plus compréhensive, plus apaisante. Cette sensation d’apaisement est approfondie par une impression de « temps suspendu » en leur compagnie. C’est ce qui a d’ailleurs tout de suite surpris Adrien Labastire, en venant rendre visite à Jany Lainé. Répondant ainsi à l’appel du P. Philippe Pignel, curé de St-Charles de Monceau(17e ), ce père de famille de 43 ans s’est porté volontaire pour l’emmener régulièrement à la messe dominicale.

Avec Jany, il faut parler doucement, répéter, marcher à son allure… en un mot : ralentir. « Cela permet de sortir de l’immédiateté, de mettre les choses en perspective, analyse-t-il. De prendre du recul, y compris sur nos petits problèmes matériels quotidiens qui n’ont finalement pas beaucoup d’importance. » Adrien mentionne également une « sagesse de vie et de foi ». « Je suis très impressionné par l’ancrage paroissial de Jany », confie-t-il. D’ailleurs, Jany le concède volontiers : « St-Charles, c’est [sa] maison. » La foi, sa vie. « Aujourd’hui, je me sens tellement gâtée, tellement riche de quelque chose que, depuis que j’ai conscience que je vais bientôt mourir, j’ai besoin de parler, de transmettre », s’anime la femme âgée de 91 ans qui mentionne ces nombreuses personnes venant lui demander des conseils. « Des jeunes me demandent par exemple si j’étais sûre que mon fiancé était le bon quand je me suis mariée. »

« Les personnes âgées ne peuvent plus faire grand-chose, analyse Cécile Klos. Elles touchent ainsi la vérité de la vie, l’essentiel : être, ne pas faire, être seulement. » Cette capacité de présence, cette nécessité d’être uniquement, jusque dans la prière, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris, les décrivait dans un entretien donné au numéro de septembre de Compagnons de route, bulletin de liaison de la Maison Marie-Thérèse. « On ne peut pas se concentrer de la même façon que lorsqu’on est en pleine force, expliquait-il ainsi. Et donc, il faut aller chercher des moyens moins intellectuels, plus immédiats. » Parlant d’un « combat de la foi », il confiait : « Je dois apprendre à prier de manière plus simple, plus pauvre. » Et d’ajouter : « Voilà, maintenant, je n’ai plus rien à donner, j’ai les mains vides. Alors, le mystère du Christ, c’est précisément quand on reconnaît qu’on a les mains vides qu’on est capable de donner quelque chose. »

Isabelle Demangeat

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