Homélie de Mgr Michel Aupetit - Messe d’installation comme 141e archevêque de Paris – Épiphanie du Seigneur

Notre-Dame de Paris – Samedi 6 janvier 2018

 Is 60, 1-6 ; Ps 71 ; Ep 3,2-3.5-6 ; Mt 2,1-12

Aujourd’hui nous fêtons l’Épiphanie, cela veut dire que Dieu se manifeste au monde. Imaginez que Dieu ait voulu confier aux hommes cette manifestation ? Nous, nous aurions pensé qu’il l’aurait donné aux réalisateurs américains. Par exemple Cecil B. DeMille, nous aurait fait un péplum extraordinaire, James Cameron aurait certainement aussi fait une mise en scène exceptionnelle avec des effets spéciaux comme pour le film Avatar. Quant aux studios Disney, ils auraient certainement utilisé quelques rayons laser pour nous faire Star Wars. Eh bien, non ! Quand Dieu se manifeste aux hommes, il vient dans la plus grande discrétion. Il vient comme un tout petit enfant, au milieu d’une étable, au milieu de bêtes parce que les hommes ne l’ont pas reçu.

Première leçon que l’on peut en tirer : plus on est grand, plus on est tout puissant, comme Dieu l’est en effet, et moins on a besoin de décorum. Cela laisse à penser que Celui, justement, qui a cette Toute puissance n’a pas besoin de décorum pour se manifester au monde. A contrario, moins on est signifiant et plus on a besoin de décorum. Étant donnée la magnificence de cette église, signe du génie humain qui veut rendre gloire à Dieu, de ce que nous avons chanté, de ce que nous chanterons, qui est aussi le résultat des compositions et du génie humain, je me dis que ce que nous avons à vivre, étant donné le décorum qu’il y a ici, est simplement le reflet de mon insignifiance ! Au fond, cela me permet de me remettre à ma juste place et me donne une leçon d’humilité car Celui qui est tout puissant vient sans faste, humblement.

Il est venu et pourtant personne ne l’a vu. Tous ceux qui l’attendaient, en mettant en lui tous leurs espoirs ne l’ont pas vu. Tous ? Ah non, pas tous ! Pas tous, il y ces fameux bergers qui sont venus jusqu’à la crèche, jusqu’à l’étable. Et puis les mages, que nous célébrons aujourd’hui, qui viennent de loin, qui viennent de l’Orient.

Cela veut dire que Dieu nous touche par ce que nous sommes capables de connaître. Les bergers sont juifs, ils croient aux anges et quand Dieu envoie les anges pour chanter la gloire de celui qui va naître, ils se laissent déplacer et viennent à la crèche. Les Mages, sont peut-être des mésopotamiens, on n’en sait rien, mais ils viennent d’Orient. Nous savons qu’ils connaissaient parfaitement les cartes du ciel, qu’ils étaient maîtres de l’astrologie et étaient attentifs aux signes. Aussi Dieu va leur parler par ce qu’ils sont capables de connaître.

Deuxième leçon  : Dieu nous parle. Il nous parle par ce que nous sommes capables d’entendre, ce que nous savons. Il ne nous parle pas un langage ésotérique, il nous parle simplement à partir de ce que nous pouvons connaître. Dieu nous rejoint là où nous en sommes. Et la question qui se pose à nous : sommes-nous attentifs aux signes qu’il nous donne ?

Les mages de l’évangile posent un acte prophétique. Ils amènent l’or, l’encens et la myrrhe. L’or, c’est l’attribut des rois. Ils signifient simplement que celui-là, le tout petit dans cette étable, a les signes de la royauté, il est roi. L’encens n’est destiné qu’à Dieu, autrement dit, ils signifient que celui-là est Dieu. Et le troisième mage est encore plus prophétique étonnamment, il offre de la myrrhe. En offrant de la myrrhe, il signifie que ce petit est homme, qu’il a la condition humaine et qu’il va aller jusqu’au bout de cette condition humaine, même jusque dans sa finitude, c’est-à-dire jusque dans la mort. En offrant la myrrhe, il manifeste plus encore cette condition humaine qui va jusqu’à la mort, il signifie aussi cette résurrection qui fait que Jésus ne sera pas embaumé, contrairement aux morts de l’époque.

Voilà ce que font aujourd’hui les mages. En offrant les vrais attributs divins au-delà des apparences, au-delà de ce qu’ils peuvent voir de ce pauvre petit dans cette étable, les mages voient plus loin, plus haut. Ils sont capables d’accueillir la foi en apprenant à reconnaître la dignité divine dans les plus petits, ce tout petit.

Nous avons aussi à reconnaître la dignité divine dans les plus faibles et tout spécialement dans les plus pauvres, dans les plus fragiles. Nous avons à poser un acte de foi au-delà de ce que nous pouvons croire et connaître par nos seuls moyens de l’observation qui sont importants, bien sûr, mais qui ne peuvent s’adresser qu’au monde matériel et ne peuvent pas atteindre jusqu’à Dieu. C’est Dieu qui nous atteint.

Autrement dit, la troisième leçon : le renversement des valeurs opérées par Dieu nous oblige à accueillir la foi au-delà de nos certitudes.

Nous venons de passer Noël, et nous nous sommes offert de très beaux cadeaux sans aucun doute, des cadeaux qui sont le reflet de notre affection, de notre amour, de notre tendresse à ceux à qui nous les avons offerts, même si certains ont pu trouver qu’ils n’étaient pas extraordinaires et les ont revendus immédiatement sur Internet ! La question qui se pose pour nous, c’est quel est celui qui a offert le cadeau le plus ajusté à celui qui vient de la part de Dieu ? Quel est celui qui peut offrir le plus beau cadeau, et, peut-être, comme nous aimons les questions un peu inutiles, lequel des trois mages a-t-il offert le plus beau cadeau ? Aucun d’entre eux ! Aucun d’entre eux n’a offert un cadeau ajusté à Dieu. Tout simplement parce que le cadeau qu’ils offrent est simplement la révélation de ce qu’est celui-là, dans sa réalité divine, royale et humaine.

Le plus beau cadeau a été offert par Marie et par Joseph. Ils ont offert leurs bras pour accueillir ce petit, leur cœur et leur tendresse pour l’aimer. Et voilà le plus beau cadeau, c’est eux, et eux seuls, qui ont donné la seule réponse juste à Celui qui vient au milieu de nous dans un acte suprême d’amour. Seul l’amour peut répondre à l’amour.

Dans quelques instants, sur cet autel, Celui qui est le tout autre, celui qui est indicible, dont nous ne pouvons rien dire d’autre qu’avec nos pauvres mots, ce Verbe éternel de Dieu va une fois encore s’emparer de la pauvreté de nos mots humains, comme il s’est emparé de cette humanité si fragile qui est la nôtre, jusque dans sa finitude. Il va employer ces mots humains et dans la bouche du prêtre, ce que nous avons offert sur l’autel et qui est au fond si dérisoire, la banalité du pain, la banalité du vin, vont devenir par cette Parole de Dieu -une parole performative- véritablement son Corps et véritablement son Sang. Voilà comment, Celui qui fut déjà couché dans une mangeoire par sa maman, devient la nourriture céleste. N’est-ce pas lui qui nous a dit : mon Corps est la vraie nourriture, mon Sang est la vraie boisson, celui qui mange ma Chair et celui qui boit mon Sang a la Vie éternelle. Ce que nous allons faire dans quelques instants c’est un peu comme ce qui s’est passé à la crèche, le Seigneur va venir sous les apparences très simples, les plus simples possible pour venir jusqu’en nous. Et nous avons à l’accueillir, lui qui va venir sans mitre et sans crosse, et pourtant c’est Lui qui est Dieu ! Il va se livrer nu entre nos mains tout à l’heure, quand nous nous avancerons et que le prêtre vous dira : « le Corps du Christ ».

Pour le reconnaître, il faut la foi des mages et des bergers. Pour l’accueillir et pour qu’il donne la vie, il faut l’amour de Marie et de Joseph.

Cette belle liturgie est la reconnaissance du peuple de Dieu et la manifestation de son enthousiasme fervent devant Celui qui se livre humblement dans nos mains. C’est cela qu’il faut voir.

S’il vous plaît, chères sœurs, chers frères et chers amis, ne donnez pas raison à ce célèbre proverbe chinois : « quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt ».

Eh bien, je vous dis chers frères et sœurs : Ne regardez pas l’archevêque, contemplez le Christ !

+ Michel AUPETIT, archevêque de Paris.

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