Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe solennelle de fondation à l’occasion du 69e anniversaire de la Libération de Paris

Dimanche 25 août 2013 - Notre-Dame de Paris

Ceux qui seront vraiment reconnus comme justes sont ceux qui auront été fidèles à la voix de leur conscience, à la parole de Dieu quand ils l’ont connue, à l’appel du Christ quand ils ont été préparé. Cette parole trouve écho dans les périodes difficiles des hommes. La vraie liberté se conquiert par la force de caractère et une motivation profonde en choisissant en quelque sorte "la porte étroite".

 21e dimanche du Temps Ordinaire – Année C
 Is 66, 18-21 ; Ps 116, 1-2 ; He 12, 5-7.11-13 ; Lc 13, 22-30

Frères et Sœurs,

Les lectures bibliques que nous venons d’entendre nous placent apparemment devant une réalité paradoxale, puisque d’un côté le prophète Isaïe annonce la vocation universelle du Salut proclamé au nom du Seigneur, son projet de rassembler tous les hommes, toute l’humanité dans un peuple nouveau, bref d’apporter le Salut au monde, et de l’autre côté l’évangile de saint Luc, à travers cette scène entre Jésus et ses auditeurs, semble nous exprimer une vision beaucoup plus restreinte. « Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, il faut passer par la porte étroite et non pas par le large chemin pour entrer dans le Royaume » (Lc 13, 23-24).

Comment pouvons-nous comprendre et accorder ces deux perspectives apparemment si contraires ? Ou bien tout le monde est appelé, ou bien il y a peu d’élus ! Il me semble que la parole que Jésus adresse à ceux qui lui posent la question de savoir si beaucoup seront sauvés, nous aide à comprendre la vision universaliste du prophète Isaïe, qui concerne le plan général de la vision de Dieu sur l’humanité entière, depuis ses origines jusqu’à son terme ; elle annonce le projet divin, sa volonté miséricordieuse de sauver tous les hommes. La scène de l’Évangile se situe historiquement et géographiquement dans un point de cette histoire humaine. Elle ne vise pas tous les hommes, elle vise les gens qui ont écouté Jésus, « il passait par les villes et les villages en enseignant » (Lc 13, 22), et donc ce qu’il va dire concerne prioritairement celles et ceux qui l’ont entendu.

Jésus nous dit que pour entrer dans le Royaume, pour recevoir le salut par la miséricorde de Dieu, il ne suffit pas de l’avoir entendu, de l’avoir vu, d’avoir été témoin de ses paroles et de ses gestes, il faut poser une décision, libre et personnelle. On n’est pas sauvé contre soi-même, on n’est pas sauvé quoi que l’on fasse, on est sauvé par réponse à une option fondamentale de la vie : éviter ce qui est le mal. « Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal » (Lc 13, 27). Cette parole du Christ nous aide à comprendre que ce n’est ni la proximité physique, ni le fait d’avoir entendu ses paroles, ni même le fait de l’avoir suivi un moment, qui va assurer la justification du cœur de l’homme, c’est le choix de sa liberté, sa capacité à choisir entre le bien et le mal, c’est son désir de faire le bien et de se détourner du mal, qui, par la grâce de Dieu, va manifester qu’il appartient au corps de ceux que Dieu appelle. Et ceux-là, qui vont exprimer ce choix d’une vie droite, ne se réduisent pas à ceux qui ont entendu la parole de Jésus, mais s’ouvrent à l’universalité de l’Orient et de l’Occident, du nord et du midi, « on viendra de l’Orient et de l’Occident, du nord et du midi, prendre au festin dans le Royaume de Dieu » (Lc 13, 29). Ceux qui seront vraiment reconnus comme justes sont ceux qui auront été fidèles à la voix de leur conscience, à la parole de Dieu quand ils l’ont connue, à l’appel du Christ quand ils y ont été préparés. Cette fidélité ne s’exprime pas simplement par des mots, elle s’exprime par des actes, par une manière de vivre.

Cet appel du Christ à conformer notre vie à ce qu’il dit, et pas simplement à nous contenter d’un contact extérieur, d’avoir été sur son passage, d’avoir entendu l’une ou l’autre de ses paroles, mais d’avoir vécu cette rencontre avec le Christ, d’avoir reçu la parole du Christ, comme un appel à une nouvelle manière de vivre, c’est cela qui va déterminer notre capacité à entrer dans le Royaume. Et nous savons bien que ce travail, que nous appelons la conversion, qui nous fait changer notre manière de vivre, demande une décision forte, une motivation pleine, une liberté totalement engagée.

Dans les périodes difficiles de l’histoire des hommes, la parole du Christ trouve une illustration assez sensible. Dans ces périodes difficiles, nous le savons, il y a plus de gens qui sont attirés par le chemin large et facile que par la porte étroite. Au cours de la période de la Seconde guerre mondiale dont nous faisons mémoire aujourd’hui, seuls, celles et ceux qui ont eu la force de caractère, la motivation profonde, le courage de suivre l’appel de leur liberté, ont choisi la porte étroite. Ce choix a eu des conséquences douloureuses pour eux, parfois de manière définitive par la mort après la torture. Mais si je fais écho à cette période tragique de notre histoire, c’est précisément parce que l’Écriture nous indique que ces expériences de l’histoire humaine ne sont pas vécues simplement comme des péripéties sans signification, elles sont vécues aussi comme des signes qui nous sont donnés pour prendre conscience de la condition humaine et mieux faire face à notre responsabilité d’homme et de femme devant nos semblables et devant Dieu. Comme nous le dit l’épître aux Hébreux : ce sont comme des leçons qui sont données à l’humanité (Hé 12, 6), non pas pour l’accabler, mais pour qu’à partir de la difficulté, de la gravité, quelquefois de la cruauté des événements, les hommes se ressaisissent et reprennent conscience de l’enjeu déterminant de leur vie et de leur liberté. Quand on vient de recevoir une leçon, on ne se sent pas joyeux mais plutôt triste, par contre quand on s’est repris grâce à la leçon, plus tard on trouve la paix et on devient juste.

Que le Seigneur nous donne de faire mémoire de ces événements de notre pays et de notre cité, non pas en nous laissant accabler par l’injustice et la cruauté qui ont été les marques de ce temps, mais en nous laissant stimuler par l’exemple de celles et de ceux qui ont choisi la porte étroite pour être fidèles à leur conscience.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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