Interview du cardinal André Vingt-Trois dans La Croix le 16 novembre 2015

La Croix – 16 novembre 2015

Mgr Vingt-Trois : « La menace permanente doit renforcer notre solidarité ».

Que vous inspire le drame qui a frappé notre pays ?

L’épreuve que traverse notre pays provoque un choc profond, non seulement pour les victimes et leurs proches évidemment, mais encore pour le pays tout entier. C’est pourquoi le « deuil national », décrété par le président de la République, rejoint l’émotion de tous et répond au besoin de solidarité et de communion. Plus largement, les événements atroces survenus cette semaine rendent concret le sentiment d’être en « état de guerre ».

Pour nous chrétiens, cette situation est un appel à nous rendre plus proches encore de la souffrance de nos compatriotes et d’être témoins de l’espérance qui nous habite. Cette sauvagerie rend illusoires les tentatives d’explication : on n’explique pas l’irrationnel de la haine. Elle rend plus urgent le devoir de mettre toutes nos forces au service des victimes et d’apporter une réponse d’amour dans cet océan de haine.

Qu’est-ce qui a changé, selon vous, dans notre société après ces attentats ?

Depuis cinquante ans, notre société vit dans la quiétude de la paix. Les conflits auxquels nous sommes parfois associés restent souvent lointains dans l’espace et les personnes qui y sont engagées en notre nom peuvent facilement être « oubliées ». L’irruption de la violence et de la mort sur notre territoire, le massacre de victimes anonymes, nous obligent à sortir d’une certaine forme d’insouciance et à éprouver la proximité physique de la mort et le tragique de la vie humaine.

Résister à la barbarie comme nous devons le faire, ne signifie pas nier ou évacuer ce tragique, mais nous invite à plus de gravité dans notre manière de vivre. La menace permanente et aveugle doit aussi renforcer l’engagement dans la solidarité quotidienne. La guerre n’est pas d’abord une affaire de « professionnels ». Elle est une menace pour tout un chacun.

En quoi les religions peuvent-elles contribuer à répondre aux questions que ces événements posent ?

La question radicale posée par ces attentats perpétrés en invoquant le nom de dieu est la question du Dieu auquel nous croyons. Quelles que soient nos religions ou nos traditions spirituelles, nous devons affronter cette question : croyons-nous à un Dieu qui veut la mort de l’homme ou à un Dieu qui veut que l’homme vive ? Pouvons-nous imaginer servir Dieu par la haine, la violence, physique ou verbale ? L’idée que l’authenticité de la foi s’exprime par le rejet d’une catégorie d’êtres humains est une aberration dont on doit toujours se garder. Dans ce temps de trouble des consciences, l’affirmation sans faille de l’unité de la famille humaine enracinée dans la foi au Créateur est sans doute le premier témoignage que nous devons rendre.

Craignez-vous un délitement de la cohésion sociale ? Comment l’éviter ?

Le risque de délitement de la cohésion sociale est le plus immédiat, c’est d’ailleurs l’un des buts de ces attentats. En générant un réflexe de panique, ils peuvent, si nous n’y prenons garde, favoriser une attitude de méfiance réciproque, une société du soupçon. Dans ce cas, les communautés musulmanes seraient évidemment les premières victimes, comme nombre de musulmans sont les victimes quotidiennes des fanatiques de Daech. Nous sommes appelés, – et les chrétiens les premiers –, à résister au piège du choix d’un bouc émissaire, à poursuivre et à développer notre engagement pour la consolidation du lien social.

Le Jubilé de la Miséricorde prend-il un sens supplémentaire dans ce contexte et lequel ?

Après ces événements tragiques, qui sont la version en France de massacres quotidiens à travers le monde, il me paraît difficile de douter que le monde a besoin de miséricorde. Nous pouvons comprendre que la miséricorde n’est pas une sorte de justification facile de nos fautes et de nos erreurs. Elle est un élément décisif pour apporter à ce monde plus de justice et de paix. Elle n’est pas une facilité. Elle est un appel à la conversion.

Recueilli par Céline Hoyeau.

Source : la-croix.com.

 Accéder au dossier sur les attentats du 13 novembre 2015.

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