Le premier pèlerinage en Terre Sainte

Extrait de Le Choix de Dieu aux Éditions de Fallois (1987).

Pages 174 et 175.

Pour moi, ce fut un choc extraordinaire, affectif et spirituel par ce que c’était la terre d’Israël, parce que c’était la Terre Promise à Abraham, parce que c’est la Terre Sainte. Lorsqu’on étudie la Bible à sa table, on peut indéfiniment réfléchir sur ce qui est dit ou non, en évitant trop de questions sur la réalité de l’événement lu même et sur la manière dont il vous touche. Ici, en Terre Sainte, je ne pouvais rien mettre entre parenthèses de la question de la vérité. Elle se présentait sous la figure de l’histoire, et l’histoire se faisait présente sous la forme de la géographie avec une objectivité brutale, irrécusable. Le sol lui-même, la Terre Sainte et ses habitants prenaient une telle puissance qu’ils rendaient urgente une décision. Je ne pouvais plus esquiver la question.

Oui ou non, me déciderais-je à adhérer sans réserve à la réalité du don de Dieu ? Je le savais, des questions demeuraient ouvertes : la rationalité, la cohérence interne, l’accord de la raison et de la foi, bref, toute une série d’interrogations.

Ultime étape de ce chemin, je suis arrivé au Saint Sépulcre. Je suis entré dans cette basilique obscure, délabrée en ces années-là. Elle n’avait pas encore été reconstruite. Il faut se courber pour franchir la porte étroite du Sépulcre. Un moine veille à ce que vous ne vous cogniez pas la tête contre le linteau. Il tient un petit cierge pour vous donner de la lumière. Bref, cela est aussi peu mystique que possible. Il faisait très chaud. Je me suis retrouvé touchant la plaque de marbre qui recouvre la roche. Je l’ai touchée de mes mains, j’ai mis mon front dessus et c’était une pierre fraîche. Alors, je me suis dit : « Aussi vrai que cette pierre est là, que tu la touches, qu’elle résiste à tes mains et à ton front, et s’impose à tes sens, il faut que tu te décides si, oui ou non, tu adhères pleinement au Christ ressuscité, à Dieu sauveur, à l’appel de Dieu à son peuple pour le salut du monde. Ou bien tu t’en vas, il n’est que temps. » Et la lumière donnée à cet instant-là, enfin l’événement intérieur alors vécu, peut se traduire ainsi : les raisons pour et contre existent, elles ne sont pas de poids égal, mais elles ne résolvent rien. En revanche, ce qui décide de tout, c’est ma relation personnelle à Celui en qui je me reconnais créé, appelé, sauvé, aimé, et capable, par le don qu’il m’en fait, d’être un témoin de ce qui m’est accordé. Telles furent la question et la décision. Et j’ai vécu ce mois dans un mélange de joie et de douleur.

+Jean-Marie cardinal Lustiger
Archevêque de Paris

Cardinal Jean-Marie Lustiger