Mot d’accueil et homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe pour le 10e anniversaire de la mort du cardinal Jean-Marie Lustiger

Dimanche 24 septembre 2017 - Notre-Dame de Paris

Dieu met en œuvre une justice différente de celle des hommes. Alors que nous cherchons à juger et comparer, Dieu exerce la miséricorde. Il s’agit de passer d’un regard fondé sur le mérite à celui de l’amour et du pardon. Ce changement de perspective requiert une véritable conversion, c’est le signe de la miséricorde de Dieu.

 25e dimanche du temps ordinaire - Année A
 Voir le compte-rendu de la Messe pour le 10e anniversaire de la mort du cardinal Jean-Marie Lustiger

Mot d’accueil du cardinal André Vingt-Trois

Frères et Sœurs,

Je ne célèbre jamais cette messe du dimanche soir à la cathédrale Notre-Dame de Paris sans avoir une pensée reconnaissante au cardinal Lustiger. Non seulement parce que sa dépouille repose sous les dalles du chœur, mais surtout parce que, d’une certaine façon, cette messe du dimanche soir, il l’a portée et construite comme un signe pour le diocèse de Paris et au-delà du diocèse de Paris. Il m’a donc semblé tout naturel que ce soit le cadre dans lequel nous soyons réunis pour rendre grâce dix ans après sa mort, pour le ministère qu’il a accompli au service de l’Église de Paris et plus largement au service de l’Église universelle. Peut-être que ces dix années, en nous donnant un peu plus de recul, nous permettent mieux de mesurer à quel point son ministère a été puissant et fécond pour notre diocèse et pour l’Église.

Je pense, évidemment, aux initiatives multiples qu’il a prises et auxquelles il a donné forme, que ce soit dans le domaine de la formation avec l’Ecole Cathédrale, la formation des responsables, le Séminaire diocésain de Paris ; que cela soit dans le domaine de la communication avec la création de Radio Notre Dame et puis celle de KTO Télévision dont les téléspectateurs non seulement à Paris mais en France et dans le monde, m’apportent le témoignage qu’ils sont souvent des auditeurs et des spectateurs fervents de cette messe du dimanche soir ; que cela soit aussi dans le domaine de la solidarité et du partage avec la création de la Fondation Notre Dame qui permet de collecter des fonds pour financer des projets innovants, ou que cela soit évidemment avec, -je n’ose pas dire la création parce que cela serait peut-être excessif-, mais le relèvement du Collège des Bernardins et le nouveau souffle qu’il a voulu lui donner en le mettant en œuvre, bien qu’il n’ait pu lui-même assister à son inauguration en 2008. Et j’oublie sans doute bien d’autres initiatives et bien d’autres créations, mais je veux surtout que nous rendions grâce pour l’amour pastoral qu’il portait à son diocèse, aux prêtres, aux fidèles, mais au-delà des prêtres et des fidèles à tous les hommes et à toutes les femmes que Dieu confiait à son ministère pastoral même s’ils n’étaient pas croyants, et même s’ils refusaient d’envisager de l’être. Il a toujours eu le souci d’annoncer la bonne nouvelle du Christ à temps et à contretemps, d’encourager et de stimuler les initiatives missionnaires dont la Fraternité Missionnaires des Prêtres pour la Ville est un exemple particulièrement éclairant.

C’est pour tout cela que je vous invite ce soir à rendre grâce, non seulement vous qui êtes des habitués de la messe du dimanche soir à Notre-Dame, mais toutes celles et tous ceux qui ont voulu se joindre à nous ce soir à l’occasion de ce dixième anniversaire et dont j’ai pu distinguer les visages en avançant au milieu de vous, - j’allais presque dire -, identifier les strates du calendrier, à travers les uns ou les autres, selon les époques, où ils ont été associés à ces initiatives.

C’est donc avec une grande allégresse que nous faisons mémoire de la vie et de l’action du cardinal Lustiger et que tous ensemble nous rendons grâce à Dieu.

A la fin de la messe
Si je n’avais pas cité tout à l’heure, parmi les initiatives du cardinal Lustiger, Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris, cela n’était pas par oubli ! C’était parce qu’il me semblait que vous entendriez d’une meilleure oreille l’évocation de cette initiative après avoir entendu la maîtrise dans ses œuvres ! Donc, je les en remercie, non seulement pour la beauté de la liturgie de ce soir mais pour le service régulier qu’ils assurent dans nos liturgies.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

Homélie du cardinal André Vingt-Trois

 Is 55,6-9 ; Ps 144, 2-3.8-9.17-18 ; Ph 1,20-24.27 ; Mt 20,1-16

Frères et Sœurs,

Tout au long de ces semaines, nous entendons le dimanche des paraboles sur le règne de Dieu. Elles sont comme une pédagogie pour nous aider à déplacer nos critères, pour nous aider à comprendre que le règne de Dieu n’est pas un règne humain qui se régit selon les règles habituelles des sociétés humaines, que la justice de Dieu ne se réduit pas à l’équité que les hommes ont tant de mal à établir entre eux, que la surabondance de l’amour et de la miséricorde de Dieu déborde de toute manière l’image que nous nous faisons de la rétribution morale qui voudrait que, ce que nous estimons être les bons comportements soient bien récompensés, et que les moins bons comportements soient bien pénalisés.

Et voici que Dieu met en œuvre une justice tout à fait différente, où il donne autant au dernier venu qu’au premier venu, sans considération pour la différence de travail fourni, où il invite à pardonner indéfiniment, soixante-dix fois sept fois entendait-on la semaine dernière, où il appelle les disciples du Christ à vivre dans une fraternité miséricordieuse. En entendant ces paraboles, -ou ces admonestations du Christ-, nous comprenons mieux la parole du prophète Isaïe, « mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, - oracle du Seigneur » (Is 55,8), « …le Seigneur qui montrera sa miséricorde, notre Dieu qui est riche en pardon » (Is 55,7).

Nous mesurons combien nos réflexes – pas simplement nos réflexes personnels car nous serions moins bienveillants que d’autres, mais nos réflexes sociaux, nos réflexes collectifs, les réflexes qui s’établissent dans une société – sont différents des chemins que Dieu nous propose, combien ces réflexes sont différents de la richesse de la miséricorde de Dieu. Nous aimons juger. Nous aimons mesurer. Nous aimons comparer. Et nous voudrions que Dieu ait le même réflexe, nous voudrions que Dieu ait la même attitude à l’égard des hommes. Nous le voyons tout au long de l’évangile, et nous voyons comment les réactions du Christ s’inscrivent en faux contre cette comptabilité désuète. Ceux qui entourent le Christ et lui contestent d’exercer la miséricorde voudraient que la loi permette de punir, car la punition des autres fait encore mieux ressortir la justice supposée que nous vivons. Ce que Dieu veut nous faire découvrir, c’est que même celui qui est entré le dernier au travail, celui qui s’est converti dans la dernière ligne droite, celui qui a été appelé en dernier, a autant de mérite que ceux qui ont été appelés les premiers. Il veut nous faire découvrir que l’antériorité ne constitue pas un droit, que la fidélité ne constitue pas un droit, que la rigueur morale ne constitue pas un droit. Ce qui constitue un droit, c’est la miséricorde que Dieu veut exercer à l’égard de tous les hommes, en commençant par les plus faibles. Et à mesure que nous énumérons cet antagonisme entre notre conception des relations humaines et la manière selon laquelle Dieu veut pratiquer avec les hommes, au fur et à mesure que nous énumérons les éléments de cet antagonisme, nous mesurons combien notre cœur est étroit, comparé à la miséricorde de Dieu, – pour reprendre la formule de l’évangile de saint Matthieu – « comment notre regard est mauvais parce que Dieu est bon ».

C’est une véritable conversion à laquelle nous sommes invités. Il s’agit d’apprécier nos relations avec les autres hommes, non pas simplement à l’aune du mérite, mais à l’aune de l’amour et du pardon. D’abord dans nos communautés chrétiennes, dans nos relations avec nos frères et nos sœurs, dans le regard que nous portons les uns sur les autres. Si la liturgie nous invite heureusement à échanger un signe de paix avant la communion, cela n’est pas simplement un formalisme insignifiant, c’est une façon pour nous de nous tourner vers quelqu’un que nous n’avons pas choisi en général, que nous ne connaissons probablement pas, et de nous présenter à lui désarmé. C’est une façon de nous inviter à nous regarder d’un regard de miséricorde et non pas d’un regard de jugement. Si nous n’entrons pas dans ce regard de miséricorde, comment pourrions-nous accueillir la surabondance de la miséricorde de Dieu dans la communion eucharistique ? Comment pourrions-nous recevoir le corps du Christ si nous ne pouvons pas le recevoir dans le corps de nos frères ?

Cette conversion, ce retournement de nos perspectives, cette invitation permanente depuis la première heure de notre vie jusqu’à la dernière, c’est vraiment le signe de la miséricorde de Dieu. C’est l’affirmation que nous ne sommes pas abandonnés à la fatalité. C’est l’annonce que tout homme et toute femme, pourvu qu’il accepte de recevoir la main qui se tend vers lui, peut changer de vie. C’est la certitude qu’aucun être humain n’est enfermé irrémédiablement dans ses faiblesses, dans ses fautes et dans son péché. C’est à cause de cette certitude que nous pouvons résister à la tentation du désespoir et nous avancer vers Dieu avec confiance.

Nous venons recevoir le salaire de la journée quand même nous n’aurions travaillé qu’une heure. Nous venons recevoir la plénitude de la grâce quand même nous nous serions convertis très tard. Nous venons répondre à l’appel du maître qui cherche des ouvriers quand même nous aurions méconnu cet appel ou nous serions restés sourds à ce qu’il nous dit. Ainsi, comme saint Paul y invite les Philippiens, nous sommes invités à avoir un comportement digne de l’Évangile du Christ, c’est-à-dire le comportement d’un pécheur pardonné, porteur du pardon pour ses frères.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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