« Écouter les peuples d’Amazonie »

Paris Notre-Dame du 3 octobre 2019

Le synode des évêques sur l’Amazonie convoqué par le pape François se tient du 6 au 27 octobre à Rome. Pour Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne (Guyane), qui y participe aux côtés d’un Amérindien de l’ethnie Wayana, il s’agit avant tout de placer les peuples indigènes au centre de l’Église.

Mgr Emmanuel Lafont, en 2011, baptisant Aïkumale Alemin et sa femme Yakapïn, de l’éthnie Wayana.
L’évêque de Cayenne (Guyane) se rend à Rome du 6 au 27 octobre 2019, à l’occasion du synode des évêques sur l’Amazonie, aux côtés d’Aïkumale Alemin, qui se prépare au diaconat permanent pour le diocèse de Cayenne.
© D. R. / Diocèse de Cayenne

Paris Notre-Dame – Vous êtes l’un des évêques français à participer au synode sur l’Amazonie. Dans quel état d’esprit arrivez-vous ?

Mgr Emmanuel Lafont – Je rends grâce au Seigneur et au pape François pour cette initiative extrêmement importante pour l’Amazonie et pour l’Église. Ce synode met la périphérie au centre de la vie de l’Église, ce qui est profondément évangélique. L’Église est ici dans son rôle humain, prophétique et spirituel. Car le monde ne sera pas en paix tant que les pauvres ne le seront pas. À Rome, je viens moi-même aux côtés d’Aïkumale Alemin, chef de village amérindien de Guyane, de l’ethnie Wayana, que j’ai eu la joie de baptiser il y a plusieurs années. Il se prépare aujourd’hui au diaconat permanent pour le diocèse de Cayenne. Vivre ce synode avec lui est spirituellement et humainement très fort. C’est sans doute la première fois qu’à ce niveau de l’Église, il y a 55 auditeurs et auditrices extérieurs, venant d’Amazonie pour la plupart. C’est pourquoi j’ai une grande confiance dans la démarche d’écoute de l’Église envers les peuples de la forêt. Ces derniers sont touchés par cette attention et ont de grandes attentes, car leur vie sociale, culturelle et économique est très difficile, et ils ont peu d’alliés. Par conséquent, la visibilité que leur offre l’Église est une chance à saisir.

P. N.-D. – Qu’attendez-vous de ces trois semaines d’échanges ?

E. L. – Les peuples d’Amazonie ne sont pas assez écoutés. Ils désirent qu’on entende leur point de vue sur l’histoire de leurs villages et sur celle de leur évangélisation, qui n’est pas que positive. Notre Église locale elle-même ne porte pas suffisamment d’attention à ces villages et à ces peuples. C’est un défi énorme : dans le diocèse de Cayenne vivent 15 000 Amérindiens avec six langues différentes ; il est difficile d’atteindre leurs communautés catholiques, mais il y a des choses à faire, comme traduire la Bible dans ces langues. Nous sommes appelés à annoncer l’Évangile au sein même de leur culture, à l’image du Christ qui s’est fait proche de chaque homme par son Incarnation. Mais il n’y a pas qu’en Amazonie où l’Église catholique ne se fait pas suffisamment proche. Nous sommes tous appelés à une conversion à travers ce synode. J’espère aussi une mise en valeur de la profonde sagesse humaine et spirituelle des Amérindiens, de leur complicité avec une nature qu’ils savent respecter, qu’ils connaissent admirablement. Le rapport spirituel entre l’homme et la nature est très présent dans leur culture, et doit éclairer notre théologie de l’écologie.

P. N.-D. – Le synode doit aborder la question sensible de l’ordination d’hommes mariés « mûrs » (ou viri probati). Qu’en pensez-vous ?

E. L. – Nous devons faire attention à ne pas analyser cette question sous notre prisme européen. Je ne pense pas que l’Église doive changer sa règle sur le célibat des prêtres. Mais, comme toute règle, il est parfois utile de l’adapter à des circonstances propres au terrain. C’est dans cet esprit là que nous allons discuter de la possibilité d’ordonner prêtres des hommes mariés : pour que des communautés ne soient pas privées de l’eucharistie durant plusieurs mois d’affilée. En Amazonie guyanaise, nous n’avons toutefois pas ce problème : les prêtres peuvent rejoindre les villages. Il ne s’agit donc pas de tout révolutionner mais plutôt de se demander : que faisons-nous pour que nos communautés vivent de la vie chrétienne dans toute sa plénitude ?

La famille d’Aikumale Alemin le jour de la bénédiction de la chapelle St Pedro Calungsod (Guyane)
© D. R. / Diocèse de Cayenne
Aikumale Aleminqui se prépare au diaconat permanent pour le diocèse de Cayenne et Mgr Emmanuel Lafont, baptisant un adulte dans le fleuve Maroni (Guyane).
© D. R. / Diocèse de Cayenne

Propos recueillis par Laurence Faure@LauFaur

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