Interventions du cardinal André Vingt-Trois lors de la rencontre diocésaine des équipes de préparation au mariage (prêtres, diacres, fidèles)

Cathédrale Notre-Dame de Paris – Samedi 15 octobre 2016

Ouverture du cardinal André Vingt-Trois

Chers amis,

Merci à vous tous qui participez à la préparation au mariage dans les paroisses et les communautés du diocèse de Paris, d’avoir répondu à mon invitation pour réfléchir et travailler ensemble sur le message que nous adresse l’exhortation apostolique Amoris Lætitia, à la suite du synode des évêques, et en particulier sur ce qui concerne la préparation au mariage.

Première intervention du cardinal André Vingt-Trois

A partir de l’exhortation du pape François

1. Quels doivent être nos points d’attention ?

Le premier : qui est concerné par la préparation au mariage ? Apparemment, il est facile de répondre : ceux qui se marient ! Mais ces personnes ne se préparent pas toutes seules ! Le synode insiste beaucoup, compte tenu de l’évolution de la société, des difficultés, des défis auxquels sont confrontées les familles, pour que la communauté chrétienne dans son ensemble fasse davantage d’efforts pour s’engager dans la préparation au mariage des futurs époux. On pourrait dire d’ailleurs qu’il en est de même pour le baptême des petits enfants.
A travers notre expérience des paroisses parisiennes, nous observons une sorte de fossé entre la communauté chrétienne réunie chaque dimanche autour de l’eucharistie et les démarches sacramentelles personnelles auxquelles l’Église prépare les gens. A la limite, on pourrait dire que ce sont deux univers : l’univers des « chrétiens habitués » et l’univers de ceux qui viennent demander un sacrement. La communication entre ces deux univers est particulièrement délicate. C’est comme si le déroulé et l’investissement de la préparation au mariage se réduisaient à une aventure qui concerne 3, 4, 5, 6 personnes au plus, tandis que les autres ne sont pas au courant ! Cela n’est pas leur affaire. Tout peut fonctionner comme si ces démarches se réduisaient à des événements de la vie privée qui n’intéressent pas la communauté chrétienne. Or, précisément, ce que nous découvrons de plus en plus, c’est que la possibilité pour des jeunes époux de vivre leur mariage positivement et dans un tissu de relations avec d’autres familles, suppose qu’il y ait un lien réel avec la communauté chrétienne. Ce lien peut se construire de façons différentes selon les circonstances. Je sais qu’il y a des paroisses, par exemple, où la préparation au mariage se déroulant pendant le week-end, on invite les fiancés à participer à la messe du dimanche, on fait prier l’assemblée pour ces fiancés qui se préparent au mariage. Ainsi, l’assemblée dominicale voit au moins qu’il y a des membres de la communauté qui vont se marier. Quant aux fiancés -qui ne sont pas forcément des piliers de la communauté chrétienne-, ils découvrent que l’Église n’est pas seulement une réalité constituée le jour de leur mariage, mais une réalité continue, sociale. Par leur mariage, par le sacrement qu’ils vont célébrer, ils sont invités à entrer dans cette communauté.
Le deuxième point sur lequel nous devons être particulièrement attentifs, c’est que les principaux acteurs de la préparation au mariage ce sont les conjoints eux-mêmes. Le temps de la préparation au mariage est donné à ceux qui se marient pour vivre un chemin. Les processus de réflexion, de décision, d’engagement, s’étalent dans le temps, mais il ne suffit pas d’avoir du temps pour qu’il se passe quelque chose, il faut que dans ce temps, chacune et chacun de ceux qui se préparent au mariage fassent quelque chose, c’est-à-dire qu’ils ne soient pas simplement des demandeurs qui viennent chercher à l’Église un rite, mais qu’ils soient des acteurs de leur propre existence. Tout l’art de la préparation au mariage réside dans cette capacité de susciter le dynamisme propre des gens et de les accompagner dans le travail qu’ils ont à mettre en œuvre.
Le troisième point sur lequel je voudrais insister : il y a toutes sortes de manières d’organiser la préparation au mariage, et j’allais dire : heureusement, parce qu’il y a toutes sortes de manières d’aborder le mariage ! La question n’est pas de savoir si nous disposons d’un produit applicable à tous ceux qui se présentent, mais de savoir si nous sommes capables de faire cheminer ces gens, c’est-à-dire d’entrer dans leur propre démarche. On est trop souvent tenté de considérer que la préparation au mariage est la « dernière chance », c’est-à-dire qu’ils ont été baptisés, puis catéchisés parce qu’ils voulaient faire leur communion. Ils reviennent pour se marier, c’est la « dernière chance »… Et donc, il y a une espèce de pression interne qui pèse sur nous, avec la tentation de rentabiliser ce petit espace de temps par une sorte de suralimentation, en considérant le « retard », car on est absolument convaincus qu’ils ont manqué un tas de chose… Nous pouvons donc être tentés de transformer la préparation au mariage en catéchèse de récupération. D’où la tentation d’exposer largement toute la doctrine du catéchisme et qui suppose aussi d’aborder tous les thèmes possibles de la vie conjugale et spécialement les thèmes à hauts risques, comme si on pouvait anticiper les situations dans lesquelles ils vont se trouver par des solutions préfabriquées. Or, c’est tout le contraire qu’il faut que nous fassions. Il faut que nous aidions ces gens à s’assumer eux-mêmes, à se fortifier eux-mêmes, pour que devant les situations où ils vont se trouver ils aient la capacité de réagir, en puisant en eux la force de se décider.
L’exhortation apostolique nous dit : « La qualité importe plus que la quantité. Il s’agit d’une initiation qui leur apporte les éléments nécessaires pour pouvoir recevoir le sacrement dans les meilleures dispositions et commencer avec une certaine détermination la vie familiale ». Il s’agit de fortifier cette détermination, de l’aider à trouver les moyens de se développer, de mettre en place les moyens de la vie chrétienne, pas de combler tous les trous.
Ensuite, il y a la question à laquelle nous sommes tous confrontés et que nous résolvons de manières très différentes selon les circonstances et selon les personnes. L’alternance, la proportion, l’équilibre entre des séances collectives de groupes de préparation au mariage, et des dialogues personnalisés. Ni l’une ni l’autre des formules ne peut affronter l’ensemble de la difficulté, c’est la combinaison des formules qui permet d’avancer. Pourquoi ? Parce que, comme vous le savez par votre expérience, quand vous réunissez un groupe de candidats au mariage et que vous réussissez - ce qui n’est pas toujours facile - à établir un certain climat de confiance, c’est un jeu de partage qui se développe entre les candidats. Ainsi, la rencontre collective n’est pas une classe d’enseignement, c’est un moment d’expérience d’Église dans laquelle il y a des gens qui sont plus avancés dans la vie chrétienne, d’autres moins avancés, il y a des gens qui ont davantage réfléchi à la vie conjugale, d’autres qui ont moins réfléchi… La discussion qu’ils peuvent avoir entre eux, ou la discussion qu’on peut provoquer en dissociant les couples, c’est-à-dire en créant des situations où chacun des conjoints peut parler d’une façon différente et peut-être exprimer des choses qu’il n’exprimerait pas devant son conjoint, cela ça permet de faire un chemin. Cela veut dire : qu’est-ce que chacune et qu’est-ce que chacun porte en lui ? Dans quelles conditions peut-il l’exprimer le mieux ? Et puis, la rencontre personnalisée va être au contraire un temps de relecture, de discernement : qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui s’est passé dans le cheminement ? Qu’est-ce qui vous a surpris ? Qu’est-ce que vous avez découvert ? Qu’est-ce qui ne vous paraît pas clair ? etc.
Avant-dernier point sur lequel je voudrais attirer votre attention, l’initiation aux sacrements - puisque c’est de cela qu’il s’agit - ne doit jamais se réduire à des entretiens personnels avec le prêtre ou le diacre. Je suis très conscient que pour un certain nombre de prêtres ou de diacres, ces entretiens personnels qui leur demandent beaucoup d’investissement sont par ailleurs des moments particulièrement forts de leur ministère. Ils rencontrent des gens qui sont à un tournant de leur vie, des gens qui ont leur cœur ouvert, qui sont disposés à parler d’eux-mêmes, etc. Mais c’est un piège ! Le piège de croire que la multiplication des entretiens personnels va faire cheminer les candidats. On ne peut pas se préparer aux sacrements simplement par l’entretien pastoral avec un prêtre ou un diacre. Il est nécessaire d’avoir des dialogues avec des époux chrétiens, c’est-à-dire avec des gens qui ont une certaine expérience, qui acceptent de la partager, qui sont en situation de créer un certain nombre de relations, de mettre en œuvre les premiers éléments d’une solidarité ecclésiale, de découvrir peut-être une amitié entre des couples, bref de développer un partage d’expériences. Or ce partage d’expériences est le propre des époux chrétiens, et c’est pourquoi la préparation au mariage ne peut pas, ne peut jamais faire l’économie de cette rencontre de couples chrétiens, de l’échange avec eux, de la réflexion avec eux, de la discussion avec eux. La mission propre du ministre ordonné est définie par son rôle dans la célébration. Il est le témoin qualifié de la démarche vécue par les conjoints, et comme témoin qualifié, il est invité à apporter une parole qui va donner une profondeur, une dimension particulière à cette démarche. Il n’est pas invité à devenir l’interlocuteur conjugal du couple. Pas plus qu’il n’est invité à transformer la préparation au mariage en catéchuménat « camouflé ». Il s’agit donc pour nos équipes de préparation au mariage de mener une réflexion critique, de poser une certaine distance par rapport à leurs pratiques, d’évaluer ce qu’ils font ensemble, ce que chacun fait dans son rôle particulier, et comment la combinaison de ces missions convergentes va aider celles et ceux qui se préparent au mariage à une démarche véritablement libre et responsable.
Le dernier point sur lequel je voudrais insister concerne davantage le projet général de l’exhortation apostolique que son message spécifique sur la préparation au mariage. Comment gérons-nous le différentiel entre la doctrine catholique, les exigences évangéliques, l’appel à la sainteté que le Christ adresse à tous les baptisés - qui ne sont pas, qui ne sont jamais discutables, et donc que l’on ne va pas mettre en discussion - et la situation réelle des personnes qui se présentent ? Si nous sommes entraînés, malgré nous, à vouloir calibrer cette situation réelle par rapport à la vérité doctrinale de la foi chrétienne, nous entrons dans un système impossible. Je veux dire qu’il est impossible parce que l’appel du Christ à la sainteté est un appel sans concession, sans nuance, mais c’est un appel qui s’adresse à des personnes, et donc cet appel n’est pas un instrument de jugement et de condamnation, mais c’est un instrument d’exhortation, un instrument de promesse, un instrument d’espérance. Quand le Christ annonce aux pécheurs que le péché n’est pas bon, il ne leur dit pas pour les condamner, il leur dit pour les convaincre qu’ils peuvent vivre autrement. Il leur dit : il y a pour vous une espérance quelle que soit la situation dans laquelle vous vous trouvez, le point où vous en êtes. Il y a pour vous une espérance, cette espérance, c’est que Dieu vous donne une force que vous n’avez pas. Et donc, nous devons nous appuyer sur l’appel à la sainteté, sur les conditions de perfection de la vie chrétienne, non pas pour passer au tamis l’existence de ceux qui viennent nous voir, mais pour éclairer leur situation, non pas comme une situation fermée, mais comme une situation ouverte vers un chemin de conversion. Chacune et chacun d’entre nous a sans doute eu la grâce de rencontrer sur sa route des gens qui ont pu être témoins de cette espérance et leur permettre de surmonter la tentation du désespoir. Quand je dis du désespoir, ce n’est pas forcément dramatique mais j’appelle le désespoir, l’idée qu’il n’y a rien à faire. Nous savons combien le poids de l’échec - qu’il soit statistiquement collectif, ou qu’il soit individuellement perçu à travers des crises -, pèse sur ces hommes et ces femmes qui se proposent, non pas d’entrer dans un chemin d’échec, mais d’entrer dans un chemin de réussite. Nous ne sommes pas là pour leur dire : vous n’y arriverez pas. Nous sommes là pour leur dire : même vous, vous pouvez y arriver !

Deuxième intervention du cardinal André Vingt-Trois

Je voudrais vous donner quelques orientations pour la suite de votre engagement dans la préparation au mariage à travers dix règles. Elles ne sont pas classées par ordre d’importance.

  Règle n° 1 : Rendre grâce. L’Église se réjouit quand des hommes et des femmes décident de se marier et de le faire devant Dieu. L’important n’est pas simplement que nous soyons heureux que des hommes et des femmes se marient devant Dieu, c’est qu’ils sentent que nous sommes heureux. C’est déjà un premier stade très important, surtout quand nous mesurons que beaucoup de ceux qui viennent s’adresser à nous, n’ont pas de relations habituelles avec l’Église. Pour eux souvent, le fait d’abord de trouver l’église, ensuite d’en pousser la porte, enfin, au terme d’un parcours de trouver le lieu où ils vont pouvoir parler à quelqu’un, tout cela risque de consommer de leur réserve de patience et d’esprit de découverte… Si au moment où le dialogue s’ouvre, ils ont l’impression qu’ils nous ennuient, ce n’est pas vraiment très bon… Il ne s’agit donc pas simplement de rendre grâce mais de partager cette action de grâce. Nous savons que cette démarche est une étape dans un cheminement qui a pu durer longtemps, parfois plusieurs années. C’est aussi l’expression d’une foi, une foi à intensité variable, selon que l’on considère l’un et/ou l’autre des conjoints, ou selon que l’on considère le moment où on lui parle. C’est une idée fausse d’imaginer que les gens sont solidifiés dans une position de foi inébranlable. C’est l’expression d’une foi, envers une conception de la grâce, qui elle aussi est à intensité variable. Les uns viennent chercher une protection un peu « magique » : si le Ciel nous bénit, la terre ne nous maudira pas… mais cela ne veut pas dire que l’on est capable de donner un nom au Ciel. D’autres ont un héritage plus substantiel à travers des références familiales, d’autres ont une expérience plus personnelle de prière, mais pas forcément de prière comme nous l’entendons. Donc cette idée que quelqu’un, quelque part peut faire quelque chose pour eux, c’est ce que j’appelle une conception de la grâce. Cette idée est à intensité très variable et très fragile. Notre premier regard doit être un regard d’estime et de joie. Aujourd’hui, chez nous, dans notre pays, toutes sortes d’éléments existent qui ont dissous la contrainte sociale du mariage. Par conséquent, ceux qui viennent se marier ont fait un choix, un choix personnel concernant leurs relations, un choix qui est très souvent lié au projet d’avoir un ou plusieurs enfants, soit parce qu’ils l’ont déjà et que l’arrivée de l’enfant permet chez eux de concrétiser une prise de conscience, de responsabilité, soit qu’ils espèrent l’avoir et disent : pour notre enfant, il est meilleur que nous soyons un couple stable, uni, etc. C’est donc une décision, indépendamment de la question de la foi religieuse, humaine, qui marque une étape dans la prise de conscience de ses responsabilités. C’est une décision grave et c’est donc une décision que nous devons accueillir avec action de grâce. C’est très important pour notre société que des hommes et des femmes prennent conscience qu’ils ont une responsabilité commune et c’est une décision encore plus importante de placer cette démarche dans la perspective de la foi.

  Règle n° 2 : Respecter le mariage et ceux qui veulent se marier. Nous ne sommes pas là pour faire des mariages à tout prix. S’il a pu nous arriver, s’il risquait encore de nous arriver d’imaginer qu’on pourrait faire basculer des gens qui n’ont pas encore tout à fait décidé dans le « bon sens » en les poussant à se marier, même s’ils n’ont pas encore tout-à-fait fait le choix, c’est une erreur ! Nous ne sommes pas là pour faire du chiffre, nous ne sommes pas là pour normaliser des relations, nous sommes là pour aider ceux qui le souhaitent à vivre la réalité fondamentale du mariage dont nous sommes convaincus que ce n’est pas une spécialité catholique, mais une réalité anthropologique, c’est-à-dire qui concerne tous les hommes et toutes les femmes. Et donc, si nous sentons, si nous percevons à travers les discussions, les contacts que le contenu humain de cet engagement n’est pas encore suffisamment perçu, pas suffisamment éclairé, alors il faut aider à faire ce travail et ne pas profiter de ce qu’il peut y avoir encore de flou pour conclure selon nos désirs. C’est le statut et la condition du baptisé qui constituent le sacrement de mariage, ce n’est pas le modèle de vie commune. Et donc, cela veut dire que notre créneau, c’est l’approfondissement de la vie baptismale, c’est l’approfondissement du sens de la vie familiale, de l’engagement mutuel des époux, et c’est à travers ces portes d’accès qui sont différentes que, peu à peu, nous pouvons aider des jeunes à prendre conscience de ce qu’ils vont faire en se mariant. Il est important de les aider à comprendre que cela va changer quelque chose, peut-être à l’encontre de ce qu’ils imaginent ! Peut-être que selon une pensée commune, puisqu’ils vivent ensemble, puisqu’ils ont des enfants ensemble, puisqu’ils ont l’intention de rester ensemble, qu’ils passent devant le maire et le curé, cela ne va rien changer ? Rien du tout… Mais précisément, cela va changer quelque chose ! Et c’est ce changement que nous devons aider à mettre à jour pour donner un contenu propre à la démarche qui est engagée.

  Règle n° 3 : Ouvrir l’espace. Très naturellement les personnes se préparant au mariage sont centrées sur leur expérience commune et sur leur relation duelle. Ce qui est le pôle de réflexion, le pôle de référence, c’est leur amour mutuel, c’est ce qu’ils vivent ensemble, c’est ce qu’ils veulent vivre ensemble. Le temps de préparation ne doit pas les enfermer dans cet aspect duel de leur relation, il ne doit pas les enfermer dans cette expérience trop particulière, mais les aider à mesurer que leur engagement n’est pas seulement une aventure à deux. La réussite de cette aventure à deux, la réussite de leur amour passe inévitablement par son ouverture d’abord à l’accueil des enfants, ce qui est souvent très présent, et par son ouverture à leur implication dans la vie de la société, ce qui est souvent moins présent.

  Règle n° 4 : Développer la liberté. Le mariage chrétien suppose que les deux conjoints soient libres. Mais encore faut-il s’entendre sur le contenu de cette liberté ! Tout le monde comprend qu’il n’est plus question de vivre des mariages forcés comme ce fut le cas à différents moments de notre histoire, et comme c’est encore le cas dans un certain nombre de pays du monde. Mais sans faire référence à cet aspect particulier des mariages forcés, nous sommes moins attentifs à de nouveaux conditionnements. Par exemple, le conditionnement culturel qui fait du mariage une sorte de contrat privé révocable à volonté en fonction de l’intérêt de l’un ou de l’autre conjoint. Par-delà le désir particulier, il y a le conditionnement culturel qui demande que l’on aille préciser ce que l’on met derrière le titre du mariage. Pourquoi, pour prendre un exemple simple, le maire ne peut-il pas marier dans une salle fermée ? Parce que, par définition, le mariage est un acte public. Le mariage n’est pas une petite cérémonie familiale privée, c’est un acte public aussi bien à la mairie que dans l’église. Il faut arriver à dire cette dimension publique du mariage. Parmi les autres conditionnements, il y a aussi le modèle que déroule la médiatisation par la promotion des familles recomposées comme un modèle de bien vivre, etc. par exemple, comme une façon d’absoudre les échecs du mariage… Nous devons permettre à ceux qui se marient de se libérer de ces conditionnements, pas de s’en libérer de façon idéologique, parce qu’on leur aurait apporté des arguments suffisamment forts pour les convaincre, mais de s’en libérer aussi par la manière dont ils voient et dont ils réfléchissent l’expérience conjugale de ceux qui les entourent.

  Règle n° 5 : La Parole de Dieu au centre. Comme nous le montre l’exhortation apostolique, le discernement chrétien n’est pas seulement une réflexion sur nous-mêmes et sur les événements de notre vie. Le discernement n’est pas simplement la relecture du parcours, c’est un acte spirituel qui s’enracine dans l’accueil de la Parole de Dieu. C’est pour cela d’ailleurs que l’exhortation apostolique, comme vous avez pu le constater, contient un chapitre consacré à une réflexion sur des approches bibliques du mariage. Le discernement est une mise en perspective de ce que nous vivons sous la lumière de la Parole de Dieu. Ceci veut dire que vous n’avez pas à vous justifier à vos propres yeux de faire référence à la Parole de Dieu ! Vous ne devez pas non plus être surpris que cette référence à la Parole de Dieu provoque un effet de choc pour des gens qui n’ont pas l’habitude de s’y référer. Les évangiles nous montrent qu’entre la parole proclamée par le Christ et ce qui en est reçu, il y a un grand éventail de possibilités, mais on ne peut pas présumer que cela ne sert à rien, que ce ne sera pas compris, et que cela ne sera pas reçu. Il ne s’agit pas non plus simplement de sortir opportunément sa Bible au moment de préparer la célébration pour dire : quels textes voulez-vous ? Il ne s’agit pas de choisir le texte que l’on suppose le mieux adapté à la célébration, mais il s’agit de se mettre sous la lumière de la Parole de Dieu pour comprendre ce que l’on vit, de conduire le chemin préparatoire en se référant à la Parole de Dieu. L’objectif n’est pas de faire une initiation biblique au rabais, mais d’aider des gens qui sont dans une période de leur vie où ils font un choix important, à le faire devant la Parole de Dieu, à recevoir cette Parole comme pouvant les éclairer. Ce qui va les éclairer ce n’est pas forcément ce que nous pensons, et il faut accepter que cela ne soit pas ce que nous pensons. Si vous voulez qu’ils pénètrent un peu plus les Ecritures, il faut les inciter à lire, à méditer, à parler entre eux, à se poser des questions sur ce texte.

  Règle n° 6 : La communauté chrétienne. Beaucoup de ceux que nous recevons ont une expérience très inégale et épisodique de la vie ecclésiale. Le temps de la préparation au mariage n’est pas simplement le temps où on va homologuer leur expérience par la bénédiction de l’Église, c’est aussi le temps où ils vont découvrir que la vie de l’Église aujourd’hui n’est peut-être pas exactement ce qu’ils croyaient ou ce qu’ils pensaient, ou ce qu’on leur avait dit, et qu’à travers ce temps de partage, d’échange, de cheminement dans l’Église, ils vont prendre conscience petit à petit que la communauté chrétienne est une réalité qui déborde l’événement de leur vie qu’ils sont en train de vivre. Les opinions, les jugements que beaucoup de gens portent, c’est auprès de leurs amis, de leurs parents, de leurs relations qu’ils les empruntent ! C’est comme cela que se transmettent des idées toutes faites. C’est une bonne occasion, quand il y a des rencontres de week-end, de les inviter à participer à une messe du dimanche et de leur faire percevoir comment leur démarche, tellement particulière que personne ne peut la comprendre de l’extérieur, comment cette démarche est portée par toute l’Église et combien eux comptent pour tous.

  Règle n° 7 : Le témoignage des familles. La préparation n’est pas seulement un temps d’enseignement. Elle est aussi un temps de découverte de l’expérience vécue par des familles diverses. C’est d’autant plus important aujourd’hui, que dans notre société, l’expérience familiale n’est pas l’objet d’une représentation homogène. Mais il y a aujourd’hui des gens qui vivent l’expérience familiale d’une façon positive en faisant face aux difficultés et en s’appuyant sur les moyens que leur donne la vie chrétienne. Il y a là la possibilité de faire prendre conscience que les défaillances, les accidents, les défis ne sont pas la règle. Je vais prendre un exemple. Nous savons très bien que par les accidents de la vie, il y a des familles où l’un des conjoints meurt, et quelquefois très jeune. L’autre se retrouve seul avec deux enfants, trois enfants, etc. Cette situation dramatique n’est quand même pas la norme habituelle. On ne va donc pas préparer le mariage comme une étape préalable au veuvage ! Autre exemple : on sait très bien qu’entre un tiers ou la moitié des mariages que nous connaissons débouchent sur un divorce. Cela ne veut pas dire que l’on va préparer le mariage en vue du divorce ! Cela n’est pas la règle de la préparation au mariage. Ce témoignage des familles est donc très important et il nous faut le développer. Pourquoi ? Parce que, comme vous le savez par votre expérience, la préparation au mariage demande un certain investissement de compétences dans différents domaines, que cela soit dans le domaine de la réflexion sur la vie familiale, que cela soit dans le domaine de la catéchèse, que cela soit dans le domaine biblique… Il y a une sorte d’expérience cumulée qui fait qu’une équipe de préparation au mariage a acquis une sorte de qualification propre. Cette qualification propre ne peut pas se recommencer tous les ans, donc forcément ce groupe dont vous êtes probablement les représentants, ce groupe qualifié ne peut pas suivre dans le temps les gens qu’il a reçus dans la préparation au mariage. Ceci ne veut pas dire que personne ne peut les accompagner ! On a un peu le même phénomène avec l’expérience du catéchuménat, la préparation au baptême des adultes. Il y a un temps de préparation intense où des liens forts se nouent avec tel ou tel accompagnateur, mais l’accompagnateur ne va pas rester accompagnateur à vie ! L’un des enjeux du temps de la préparation, c’est que nous soyons capables d’introduire des familles, des hommes et des femmes, qui ne sont pas des « préparateurs au mariage » mais qui sont des témoins, des parrains, des marraines, des gens disponibles avec qui les candidats au mariage peuvent parler. Mais si nous n’avons pas ce petit embryon de relations humaines qui se nouent autour de la préparation au mariage, le lendemain du mariage que se passe-t-il ? Avec qui, où vont-ils parler ? Sommes-nous capables de proposer un groupe de jeunes ménages, etc.

  Règle n° 8 : Les moyens de la réussite. Tous ceux qui se marient souhaitent sincèrement réussir leur vie conjugale et familiale. Tous n’ont pas une égale perception des moyens à employer pour y parvenir. Nous sommes convaincus que la grâce du sacrement de mariage est enracinée dans la grâce baptismale et que la fécondité du sacrement dépend de notre mise en œuvre de cette grâce baptismale. C’est toute une approche de la vie sacramentelle qui est posée à travers cette question. Nous disons, à juste titre, que le baptême n’est pas seulement un événement ponctuel mais que c’est le premier pas d’une histoire et que la fécondité du premier pas va dépendre de la façon dont on va poursuivre l’histoire à travers le temps. On peut dire la même chose du sacrement de mariage. Le sacrement de mariage n’est pas simplement un consentement ponctuel, un engagement ponctuel. L’engagement qui fait le cœur de la célébration, c’est le premier pas d’une histoire. Mais comment cette histoire va-t-elle se développer ? Beaucoup sont impressionnés par les échecs des couples qu’ils connaissent et veulent éviter ces échecs. Il faut que nous les aidions à prendre conscience qu’ils ne pourront pas éviter ces échecs en restant en dehors de la vie sacramentelle et d’une participation réelle à la vie de l’Église. Il ne suffit pas de vouloir s’engager, il faut décider de prendre les moyens de son engagement. Nous pouvons aider à formuler ce rapport avec les conséquences de l’engagement.

  Règle n° 9 : Combattre la peur. Nous voyons beaucoup de candidats au mariage qui sont habités par des craintes : crainte de ne pas être à la hauteur de leur amour, crainte de ne pas être de bons parents, je signale que cette crainte ne diminue pas avec l’augmentation des publications pour expliquer comment on est de bons parents, mais qu’au contraire la multiplication des publications développe la perplexité et donc la crainte… etc. Nous ne sommes pas là pour augmenter ces peurs, ni non plus pour nier les responsabilités des époux. La peur peut aussi être un levier pour mieux mesurer l’engagement pris, à condition de ne pas se laisser paralyser par elle. Il n’est pas déraisonnable de juger que le sérieux de l’engagement sacramentel est « au-dessus » des forces humaines moyennes. La sainteté aussi d’ailleurs, et pourtant c’est notre horizon commun. La seule possibilité de surmonter cette peur, c’est de vivre dans la foi en Dieu qui n’abandonne jamais ceux qui se confient en lui : « La victoire qui a vaincu le monde c’est notre foi. »

  Règle n° 10 : La confiance. La méfiance est communicative, mais la confiance aussi est communicative. C’est pourquoi notre propre attitude intérieure dans cette préparation au mariage est très importante. Nous devons nous-mêmes nous interroger : en qui mettons-nous notre confiance ? En quoi mettons-nous notre confiance dans notre propre vie ? Si nous vivons sur le mode de la crainte et sans compter sur la grâce de Dieu et la force de l’amour, alors nous diffusons inconsciemment nos propres craintes. Si, malgré nos faiblesses, nos erreurs, nos fautes, nous nous remettons avec confiance à la force de l’amour de Dieu, alors nous diffusons inconsciemment notre confiance. Ce dont les candidats au mariage ont besoin, ce n’est pas d’exalter une assurance « tous risques » qui n’existe pas, c’est de savoir que devant les événements imprévisibles ils auront eux aussi la force nécessaire pour faire face, s’ils s’appuient sur la présence et la force de Dieu. C’est de cela que nous devons les enrichir.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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