« Jubilé des pauvres : il y a des grands liens qui se sont tissés et des liens spirituels. »

Interview du P. Jean-Luc Leverrier, vicaire de la paroisse Saint-Georges (19e) et membre de la communauté Aïn Karem

Le Jubilé des pauvres a eu lieu du 4 au 7 mars 2010 à la paroisse Saint Georges de la Villette (19e) avec la venue du reliquaire du chef de Saint Benoît-Joseph Labre.

Pourquoi un Jubilé des pauvres ?

Je trouvais que l’année sacerdotale était un beau cadeau de l’Église et je cherchais un moyen pour que les pauvres puissent bénéficier eux aussi des grâces de cette année, découvrant à leur tour l’appel à la sainteté, la beauté des sacrements, la grandeur du sacerdoce.

Bien sûr, Saint Benoît Labre, le saint patron des sdf, n’était pas prêtre, mais je savais qu’il avait été accueilli à Dardilly dans la famille Vianney, par le grand-père du Curé d’Ars. Ils ne se sont pas rencontrés, mais le papa du Curé d’Ars a vu accueillir dans sa maison le futur Saint Benoît Labre.

L’idée était de faire venir les reliques de Saint Benoît Labre pour que les pauvres profitent d’une veillée le samedi soir, avec « leur » saint patron. On a du être une petite centaine de personnes dont la moitié de personnes de la rue.

Faire une veillée avec les gens de la rue, cela induisait forcément d’être prêt à les accueillir le soir pour dîner, puis pour dormir. Cela induisait d’abord de nous familiariser avec eux dans les semaines qui précédaient. Nous avons ainsi multiplié les maraudes dans le quartier, le jour mais aussi dans la soirée.
Le jour venu, certains sont venus par eux-mêmes, d’autres s’étaient déjà familiarisés avec les lieux la veille ou la semaine précédente. D’autres avaient rendez-vous avec nous Gare du Nord ou à Jaurès pour que nous les amenions à l’église. Dans les faits, ils sont souvent très frileux dans le fait de s’éloigner de leur coin, de leur trottoir, de leur station de métro.

A la suite de la veillée, une petite cinquantaine sont restés à dormir sur place dans les locaux paroissiaux. Le lendemain, après le petit déjeuner très familial, une petite instruction sur la messe et le lavement des pieds nous ont préparés à l’Eucharistie, nous avons célébré la messe paroissiale qui a été suivie d’un déjeuner avec les paroissiens qui le souhaitaient. Et enfin, la journée s’est terminée par une après-midi de détente et les vêpres.

Quel a été l’accueil réciproque de ces deux « communautés » ?

Parmi les paroissiens qui sont venus malgré les vacances, beaucoup ont bouleversé leurs regards : quand on voit quelqu’un dans la rue, si on a le temps, on lui donne un peu d’argent, à manger, mais on n’aura pas du tout l’idée de lui parler du Seigneur. Or, les pauvres sont particulièrement ouvertes à une vie religieuse, et très souvent désireux de prier. Les paroissiens ont particulièrement été touchés par l’authentique prière avec les personnes de la rue durant tout le week-end. Le dimanche après-midi, on a vécu un temps étonnant de familiarité, de joie et de prière sans distinction des uns et des autres.

Du côté des personnes de la rue, ils sont toujours très bienveillants. La difficulté c’est que, déstructurés par leurs situations et par leurs histoires, leur fidélité est blessée et ils ont bien du mal à tenir une parole. Après tout, ils ne font là que manifester de vieux démons qui nous hantent également.
De plus ces personnes sont très souvent non-francophones. Dans le quartier, on a beaucoup de sri-lankais, de roumains, d’afghans, de polonais. Chaque groupe se retrouve souvent par langue. S’ils ne sont pas francophones, cela constitue un obstacle de plus qui les dissuade d’entrer dans une église ou d’aller à la messe. L’église est alors pour eux un lieu étranger, tout au plus le lieu où on vient demander de l’argent, un sandwich ou une paire de chaussure, mais en rien le lieu de la rencontre avec le Seigneur.
C’est cela qui est à bouleverser.

Qu’a apporté cette expérience ?

Du côté des paroissiens, il y a un regard qui a été très changé même si cela a été difficile et éprouvant pour certains. Beaucoup ne croyaient pas à la réussite de cette initiative : « on ne saura pas faire », disaient-ils. Je remercie d’ailleurs mon curé, le père Frédéric Roder, pour son accueil et sa grande bienveillance.

Ce week-end là, des amitiés se sont liées, des projets sont nés : par exemple, l’idée de mettre en place pour les sri-lankais (15% sont chrétiens), des cours d’alphabétisation à la paroisse comme cela peut être le cas pour les afghans à la paroisse Saint-Laurent toute proche.

Enfin, il y a des grands liens qui se sont tissés et des liens spirituels. Maintenant quand on va voir ces personnes dans la rue, on prie ensemble.

Les églises de Paris au service des gens de la rue