Prêtres et laïcs : « Approfondir l’équilibre »

Paris Notre-Dame du 11 juin 2020

À l’heure des ordinations sacerdotales, pour réfléchir à la place et à la figure du prêtre au sein de la communauté chrétienne, nous avons interrogé le P. Emmanuel Boudet, canoniste. En jeu : l’articulation du sacerdoce commun des fidèles et du sacerdoce ministériel des prêtres.

Le P. Emmanuel Boudet est canoniste et professeur extraordinaire à la Faculté Notre-Dame au Collège des Bernardins.
© Laurence Faure

Paris Notre-Dame – Quel serait l’enjeu d’une « communion renouvelée » [1] entre prêtres et laïcs, pour la vie pastorale ?

P. Emmanuel Boudet – La question de l’apostolat des laïcs et de la place du prêtre au sein de la communauté chrétienne a été centrale dans l’ « après » Vatican II, avec son lot de difficultés. Le concile aura 60 ans en 2023 : il aura passé une génération. L’occasion de retravailler la question du lien entre sacerdoce commun des fidèles et sacerdoce ministériel des prêtres, pour faire éclore de nouveaux fruits. Si, dans certains lieux, la communion est ajustée et remarquable, deux écueils nous guettent encore. Celui d’une paroisse réduite à une figure associative, où les spécificités des vocations n’apparaissent plus. Et celui d’une « cléricalisation » du fonctionnement communautaire centrée sur la seule volonté des clercs, oubliant la responsabilité de chacun. Nous sommes invités, d’une part, à veiller à la mission des laïcs, afin qu’ils soient respectés pour ce qu’ils sont et capables d’être force d’action et de proposition dans l’Église. Et d’autre part, à veiller à la vocation des prêtres, prenant pleinement leur place, en premier lieu celle d’annoncer la parole de Dieu. Dans l’Évangile, Jésus choisit d’abord ses apôtres pour les envoyer prêcher.

P. N.-D. – Dans son ministère, le prêtre agit « dans la personne du Christ, tête de l’Église » (« In persona Christi capitis »). Cela en fait-il un homme différent ?

E. B. – Le prêtre est un ministre ordonné. Dans son ministère sacerdotal, il pose des actes à travers lesquels passe de manière réelle et effective, l’action du Christ au cœur du monde. On dit que le prêtre agit dans la personne du Christ : c’est le Christ qui, à travers lui, baptise, remet les péchés... L’expression « In persona Christi capitis » est destinée à comprendre certains actes spécifiques (prêcher, sanctifier, diriger la communauté…). Mais le prêtre n’est pas l’incarnation vivante du Christ. Il reste un homme, avec ses faiblesses. Quant aux laïcs, ils agissent, eux aussi, par et dans le Christ et ont une responsabilité effective dans l’annonce du Royaume. Par leur baptême et leur confirmation, ils héritent d’une autonomie réelle concernant la prière, l’annonce de la Parole, le témoignage de vie. Leurs actions en ce sens ne dépendent pas uniquement de l’impulsion d’un prêtre mais principalement de celle de l’Esprit Saint. Tout l’enjeu est donc d’approfondir l’équilibre entre la place du prêtre et la juste autonomie des laïcs. L’Église n’est pas un bataillon hiérarchisé mais un corps divers, uni par l’eucharistie, porteur de la Bonne Nouvelle.

P. N.-D. – Comment interpréter l’appellation « père » donnée au prêtre ?

E. B. – Elle ne signifie pas que le prêtre représente le Père Éternel, encore moins le père « naturel » des gens. Cette appellation de « père », qui vient du monde monastique, signifie que le prêtre engendre à la vie nouvelle dans le Christ, par l’administration des sacrements et par sa prédication (1 Co 4, 15). Une mauvaise interprétation serait, de la part d’un laïc, d’abandonner son libre-arbitre au prêtre « père » ; et de la part de ce dernier, de laisser le laïc dans cette position de « mineur ». Dans l’Église, chaque baptisé est appelé à vivre l’intégralité de ses facultés et de ses engagements de manière responsable. Et à manifester la communion, visage de Dieu au monde.

Propos recueillis par Laurence Faure @LauFaur

[1La question d’ « une communion ajustée et renouvelée, prêtres et laïcs » a été analysée en janvier 2019 par le P. Boudet lors d’une session avec des prêtres des Foyers de Charité. Analyse citée dans le rapport publié en mai 2020, révélant des « agissements gravement déviants » de l’abbé Georges Finet (cofondateur des Foyers) sur des personnes mineures, et étudiant des pistes pour l’avenir.

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